2020, Festival MOFO, Vendredi soir. On se donne rendez-vous avec Amédée et Romain de Balladur avant leur passage au Sultan, annexe Ottomane de Paris située du côté Saint Ouen du périph’. Le groupe a bien chauffé le monde avec leur album ‘La Vallée Etroite’, envoyé dans les urnes des disquaires en Novembre 2019 par Le Turc Mécanique, et dans lequel un vent libertaire souffle sur leurs bandes sons.

Avant de se prendre une méga claque par ce même vent soufflé à pleine puissance pendant leur concert, on a posé quelques questions aux maîtres de la WorldWide Pop, qui pètent les frontières et le feu à chacune de leurs sorties!

Salut! D’où vient le nom Balladur?

Amédée: On a pas mal de réponses possibles! Dedans tu as « Balla », danse en italien, et « Dure ». Balla-dure ça fait donc « Danse dure ».

Romain: Et aussi d’une fascination pour le goitre. Et pour les chaussettes!

Comment les membres de Balladur se sont-ils rencontrés?

Romain: Au lycée. On n’a pas fait de musique ensemble à ce moment là. On a commencé à faire Balladur durant nos premières années de fac à Grenoble.

Amédée: On s’échangeait beaucoup de musiques au lycée, et il me semble que quand on a essayé de faire un morceau, on était dans une période très New wave. C’était dans les années 10. Il y avait un gros revival du style, et au tout début on voulait faire un groupe de New wave.

Romain: Au départ, on voulait même se faire passer pour un faux groupe des années 80.

Amédée: L’idée c’était de faire une seule cassette, et faire comme si quelqu’un l’avait retrouvé au fond de bacs d’un disquaire. a Grenoble il y a eu une bonne scène New wave.

D’où est venu le nom de votre dernier album, ‘La Vallée Étroite’?

Romain: Il y a deux ans, je suis allé près de La Vallée Étroite, qui est une vallée pas très éloignée de la frontière franco-italienne, pas loin de Briançon. J’y suis allé pour un rassemblement qui faisait suite à l’espèce de faux blocage qu’avait fait Génération Identitaire à cet endroit. C’est un moment qui m’a beaucoup touché, d’où l’envie de faire une chanson à propos de ça. La chanson a donné le titre de l’album. Il y a cette connotation derrière, et ensuite l’expression « vallée étroite » peut évoquer plein de choses dans l’imaginaire.

Vous convoquez beaucoup d’imaginaires dans votre musique (et vos clips), qui semblent venir de différentes parties du monde. Vous avez voyagé où pour les ramener?

Amédée: Romain a pas mal voyagé, surtout en Indonésie. On écoute aussi beaucoup de compilations de musiques, pas mal de pop, qui viennent de différents coins du monde. Beaucoup de pop indonésienne.

Romain: Des années 60 jusqu’à aujourd’hui. Il y a plein de labels qu’on s’est mis à écouter: Sublime FrequenciesAwesome Tapes from Africa, Sahel Sounds, Ostinato Records

Et parallèlement, je suis allé trois fois en Indonésie. Y allant pour la musique, je me suis mis à collecter plein de disques de musique traditionnelle, pop… Et à rencontrer la scène musicale là bas. Il y a une grosse scène noise et expérimentale à Yogyakarta surtout, et à Jakarta. J’ai tissé pas mal de liens là bas, fait une tournée là bas, la première fois où j’y suis allé.

En tant que Balladur, vous avez déjà joué là bas?

Amédée: Non, mais on aimerait bien. Après, la scène là bas est très punk et métal-noise, et la pop telle qu’on la fait ne nous amènerait peut être pas à faire une tournée avec ce projet.

Ces voyages et écoutes vous ont inspiré pour ‘La Vallée Étroite’? Quelles seraient les autres sources d’inspiration?

Amédée: Ça nous a inspiré, oui. On retrouve beaucoup le son de ces musiques dans l’album. Un son un peu étriqué, un peu sec, avec peu de reverb, pas tant d’effets que ça, ça sature un peu… Après on a pas non plus fait un truc super lo-fi, mais tout de même avec les moyens du bord, donc ça sonne comme si c’était fait exprès des fois. Après j’ai écouté beaucoup de trucs carrément plus cleans: Yellow Magic Orchestra, la pop japonaise des années 80,…

ou encore de la synthpop à la Telex

Ou encore des musique qui ne sont pas forcément pop, un peu de Jon Hassel, ou encore du rockabilly, avant que ce soit appelé rockabilly, des trucs plutôt années 50-60, avec un son bien cradingue. Voire même de la musique exotica; c’est à dire de la musique d’ambiance, jouée par des blancs, qui essaient de faire un disque donnant l’impression quand tu l’écoutes que te retrouves dans les îles. On aime bien ce feedback culturel venant de gens d’un continent fantasmant un autre continent, mais en le traduisant avec leur musique à eux. Ce qu’on fait un peu avec la pop indonésienne.

Dans une interview récente, vous citez dans vos influences « la musique française du XIXe siècle ». C’est à dire?

Romain: Dans un dernier morceau qu’on a fait, qui n’est pas sur l’album, on entend ça. Enfin je crois qu’il n’y a que moi qui entend ça, mais j’ai vraiment dans l’idée de faire des sortes d’accords parallèles. Debussy ou Fauré jouent ces accords plaqués, et tu as l’impression que la mélodie est contrainte par ces accords parallèles.

Amédée: Dans un autre style d’influences, il y a aussi la pop italienne! On est devenus fans d’un producteur qui s’appelle Franco Battiato, qui a fait son projet mais aussi beaucoup produits de starlettes. On écoute beaucoup ça depuis deux ans.

Romain: Il a une approche qui nous parle, parce qu’il vient de la musique expérimentale, du minimalisme italien, et a fait un virement pop à partir des année 80.

Amédée: Il a une approche assez bizarre. Il fait quand même des tubes où la guitare électrique se mêle avec des chants grégoriens, et ça rend bien. Il a plein d’idées marrantes comme ça, beaucoup d’idées de studio. C’est une sorte de pop hybride intello, assez dansante, avec des mélodies très catchy.

C’est de là que vient le fait que vous chantez à peu près italien sur certains morceaux?

Romain: Carrément italien même! Après on chante italien, mais on ne parle pas italien. Ce sont des paroles qu’on a traduites sur google traduction, ou alors des bouts de paroles de film, des choses comme ça quoi.

Quelle serait l’évolution de Balladur depuis ses débuts, où il voulait se faire passer pour un vrai-faux groupe de New Wave?

Romain: La première cassette qu’on a faite « Balladur », était très Suicide, Joy Division, très noire et blanc. Par la suite on s’est mis à écouter plein de trucs différents, et on se sentait pas de faire une musique qui ne reflète pas ce qu’on écoutait. Dans la première cassette il y avait un truc un peu pastiche, dans lequel on se prenait pour Joy Division, et on était pas forcément à l’aise avec ça.

Amédée: Quand tu commences, il y a ce côté où tu imites, puis par la suite tu vas chercher ailleurs. Comme Battiato ou François de Roubaix, qui se sont juste amusés à mélanger des styles qui ne sont pas forcément en rapport. Il y un côté ludique aussi. Je crois pas qu’on fasse une musique hyper sérieuse non plus. Maintenant, j’aime bien dire qu’on fait juste de la pop.

Ces côtés pop, bricolés, colorés de musique d’Asie du Sud-Est… se retrouvent aussi dans vos clips, notamment celui d’« Angka Satu ». C’est quoi le délire derrière la vidéo?

Romain: Il faudrait surtout demander au réalisateur!

Amédée: A la base, « Angka Satu », c’est une reprise d’un tube indonésien de Caca Handika. On avait demandé à notre ami de reprendre le clip à sa manière. Il a en partie repris l’histoire du clip, celle de quelqu’un qui est seul, et à qui il manque un être cher.

Romain: D’où les chiens d’une certaine manière. C’est une digression de sa part. Le Bouddha vient plus d’une sorte de fantasme d’Asie, une sorte de mélange de plein de choses.

Parlons des lives de Balladur. Vous jouez presque toujours avec des gens autour de vous. D’où ça vient?

Amédée: On le fait avec tous nos projets. La première raison c’est un truc pratique. Comme on fait pas mal de musique électronique, pour nous la sono c’est comme un ampli de guitare pour des groupes plus rock. Il faut donc qu’on entende ce qui se passe sur la sono, qui n’a pas le même son que des retours. C’est plus pratique d’être dans le son en même temps que le public, au même niveau.

Il y a aussi un côté presque politique. Je n’aime pas trop être sur scène, en mode piédestal. Surtout quand tu es juste un duo, que tu fais de l’électro, que les gens ne voient pas ce que tu fais et que tu tournes des boutons. Je trouve ça plus sympa quand les gens voient ce qu’on fait. Et je trouve que ça nous permet de capter l’énergie du public, de la ressentir.

Romain: Ça nous arrive rarement de jouer en frontal. Seulement quand vraiment la configuration ne se prête pas à autre chose. Quand tu es loin du public, ça fait bizarre quand tu est habitué à être au centre. Tu ne sais pas si les gens ont aimé ou pas.

Ça danse dur avec Balladur?

Amédée: Ça marche bien quand on est au centre; il y a un côté boum. J’aime bien imaginer qu’au bout d’un moment les gens ne font pas que nous regarder. Il y a de plus en plus de groupes qui le font. Humbros vont aussi jouer au milieu ce soir. C’est plus facile qu’avant de demander ça aux organisateurs aussi.

Romain: Oui, avant tu avais l’impression que la scène allait s’effondrer, que la salle allait prendre feu…

Amédée: Souvent les gens font attention. Ça peut arriver à une certaine heure de la nuit que ce soit moins simple, mais ça se gère facilement.

Romain: En général quand ça arrive je pousse un peu les gens et ils comprennent. Des fois les gens gueulent des conneries dans mon micro, bon ça arrive. En général, les gens se gèrent. Quand tu ne mets pas de sécurité, les gens se gèrent plus.

Amédée: Bon, le plus chiant c’est quand les gens touchent les machines.

Romain: C’est souvent nos potes qui font ça!

Amédée: La semaine dernière on jouait pour les 15 ans du Grrrround Zero à Lyon, et on s’est retrouvés au milieu d’une bataille de gobelets!

Romain: Ah oui, il y avait des personnes qui essayaient tout le temps de jouer un peu de clavier, un mec qui gueulait « ACAB! » dans le micro… (Rires)

C’est teinté de politique Balladur?

Romain: Avec un nom pareil, forcément! Disons qu’on traîne dans un réseau qui est politisé, donc ça nous traverse forcément. On a beaucoup de discussions autour de la politique. Après, je pense qu’en tant que musiciens, on ne sait pas trop comment agir sur ce qui nous dégoûte dans le monde, et on essaie d’une façon ou d’une autre que ça transparaisse dans notre musique parce que c’est aussi ce qui nous anime.

Amédée: Il y a juste ce truc très difficile de réussir un texte en faveur d’une cause. Que le texte ait un sens, mais que ce sens ne prenne pas le dessus sur la musique.

Romain: On a aussi la peut du côté chanteurs engagés. On a cet imaginaire des soixante-huitards, ou des « Hey Man » qui disent des trucs comme « Peuples de la Terre, unissez-vous ». 

Amédée: C’est en train de changer, mais ça crée un truc ringard de parler de politique quand tu fais de la musique. Ça a été tellement instrumentalisé… C’est pas simple, même pour nous. ‘La Vallée Étroite’ c’est cool, mais ça reste distribué à la Fnac, sur Spotify,etc… Il y a une certaine contradiction.

A Lyon et Villeurbanne, où vous habitez, ça bouge musicalement?

Amédée: Oui, il y a une scène importante. On a plein de groupes de potes qui ont des groupes. Des trucs plutôt électroniques, expérimentaux. Il y a une grosse scène punk rock aussi. Et une grosse scène pop.

Romain: Il y a trois ans, j’avais l’impression que Lyon c’était vraiment effervescent. Plein de gens arrivaient dans la ville, plein de groupes se formaient, plein de lieux, de squats ouvraient. Depuis, le mouvement squat s’est bien fait taper sur la gueule, ce qui a un peu cassé la dynamique, comme beaucoup de concerts s’y déroulaient. Plusieurs salles, comme Le Bimbo ont aussi fermé pour des questions de rapports de voisinage. Il reste quand même plein de trucs, grâce notamment à Grrrround Zero.

Amédée: Oui, ça a ouvert officiellement, donc c’est plus facile d’organiser des événements là bas.

Romain: C’est un super outil pour Lyon. Après, il y a aussi tous les trucs qu’on ne connaît pas à Lyon.

Amédée: Il y a apparemment une super scène hip hop, mais que je ne connais pas. Il y a eu une grosse phase pop à Lyon, autour de AB Records, Société Étrange aussi, qui viennent de Lyon.

Justement, s’il y avait des groupes de Lyon et autour que vous voudriez faire découvrir, quels seraient-ils?

Romain: Il y a notre voisin, le chanteur Dymanche, qui fait une sorte de chanson française électronique.

Amédée: Il y aussi And The.

Romain: Ça fait penser à un truc yé-yé bizarrement foutu, et les chants sont vraiment cools. Ils ont sorti une cassette chez AB Records il n’y a pas longtemps.

Amédée: Antoine de AB Records a un solo super, qui s’appelle Bravo Tonky. Il y aussi nos potes, qui maintenant sont des stars, les Tôle Froide.

Egalement le projet solo d’un pote, électro rythmique avec plein de bidouilles, qui s’appelle Tani Otoshi. Et en ce moment il y a une nana qui fait des lives électroniques vraiment cools, c’est bien la teuf. Ça s’appelle Undae Tropic.

C’est quoi vos projets après l’album?

Romain: Un autre album! Egalement une tournée qui va se faire en Italie avec les Tôle Froide, fin Février. On a jamais joué là bas, donc ça va être un peu le test pour nos chansons en italien!

Amédée: On a aussi des concerts. La Boule Noire en Mars à Paris, Lille en Avril. Villette Sonique le 23 ou 24 Mai, au village Label.

Romain: On joue à Grenoble dans deux semaines aussi.

Amédée: Ah bon? (Rires) Ah oui, c’est vrai, le 7 Février à La Bobine.

Romain: Et pour le nouvel album on a plein d’idées. On voudrait que ce soit un truc un peu plus studio, qui ressemble moins à ce qu’on fait en live.

Dernière question à Balladur: complétez « Je vous demande de… »

Romain: Il faut arrêter de nous sortir cette blague! (Rires)

Amédée: On devrait compter le nombre de fois où on nous l’a sortie!

 

Ahah, ça marche. Merci les gars, et bon concert au MOFO!