Si l’on pensait avoir une idée de l’album « Contre-Temps » avec ses deux premiers singles ‘Brutalisme’ et ‘Maddy La Nuit’, Flavien Berger nous prouve encore une fois qu’il est à l’avant-garde de la pop française avec son dernier opus sorti sur le label Pan European.

La voix, sans conteste l’un des plus beaux instruments de Flavien Berger

L’utilisation de la voix par Flavien Berger est bien connue maintenant ; si particulière et si sensible, elle nous transporte lorsqu’elle est modifiée ou modulée comme sur le titre ‘Castelmaure’, une ballade qui explore l’architecture et les transformations. Subtilement intercalé entre ‘Brutalisme’ et ‘Maddy La Nuit’, ‘Castelmaure’ tient la note de la légèreté vocale jusqu’à son paroxysme. Sur le morceau ‘Pamplemousse’, c’est le verbe de Flavien Berger qui accompagne la mélodie, nous prouvant qu’il considère bel et bien son organe vocal comme un instrument à part entière. Tout au long de « Contre-Temps », plus à l’aise que jamais au micro, Flavien Berger sonde de plus en plus ses possibilités vocales tant en chantant qu’en parlant ou susurrant.

Boucles, prises de son et palimpseste

Avec le morceau qui ouvre cet album, ‘Rétroglyhpes’, Flavien Berger nous avait prévenu : « Tu as déjà vécu ça en vrai, … , tu es en train de plier la réalité ». Une façon de boucler la boucle avant même de commencer.

Depuis ses premières sorties, Flavien Berger déroule un fil qu’il ne lâche plus, comme avec  le titre ‘999999999’ qui fait évidemment suite à ‘8888888’ sur « Léviathan » et à ‘7777777’ sur « Contrebande ». Avec une rigueur de comptable, Flavien Berger sème depuis quelques années des éléments qui reviennent aussi bien dans ses vidéos que dans ses projets musicaux et ‘999999999’ en est le meilleur exemple. Ce titre, qui commence par un enchaînement de brides sonores, glisse rapidement vers une boucle électronique qui mêle kicks et basses, à faire chavirer les dancefloors.

Plus inattendu, ‘Medieval Wormhole’ est un morceau dont la couleur musicale ressemble aux productions de Cosmo Sheldrake tant dans les sonorités que dans l’approche. En partant d’une base sonore simple, Flavien Berger construit par superposition de samples un titre aux allures de pastourelle qui se rapproche des chansons du jeune anglais.

Sur ‘Intersaison’, il convie Julia Lanoé à une virée garage rock qui se termine par un extrait de conversation que l’on imagine pris sur le vif. Pour composer les titres de cet album, Flavien Berger a puisé des sons dans tout ce qui l’entoure. Il confiait même aux Inrocks que le bruit d’un radiateur est présent sur cet opus. Ça-et-là tout au long de cet album, les oreilles les plus attentives dénicheront à coup sûr un son familier. Néanmoins, le talent de Flavien Berger réside dans ses compositions et productions qui nous font oublier rapidement ses éléments sonores isolés. En fusionnant et accumulant les extraits sonores et les instruments, il crée des mélodies qui lui sont propres et nous transportent.

Contre-temps, l’écho de nos vies modernes

À travers sa poésie particulière, Flavien Berger nous narre les beaux moments mais également les affres de notre vie quotidienne. Cette matière première est souvent le point de départ des morceaux qui permettent à Flavien de nous emmener ailleurs. Sur le titre ‘Deadline’, qui débute par un « Je ne vais pas vous faire un album en 2 jours », il nous parle de la difficulté que l’on peut avoir à créer ou travailler, avec en ligne de mire toutes les deadlines qui régissent nos vies. Dans des digressions verbales et acoustiques, il bâtit un morceau entraînant et entêtant, rythmé bien évidemment par des « deadline » scandés comme des alarmes.

Sur le morceau ‘Pamplemousse’, un détail remarqué sur une bouteille de jus de fruit sert d’excuse pour divaguer et nous extraire de la routine. Vous n’aviez sans doute pas besoin de nous pour remarquer que la temporalité est un thème cher à notre cher Flavien, qui est au centre même de cet album, à travers les histoires racontées, le titre de l’album et de ses morceaux.

Deux interludes qui n’en sont pas

Sur une mélodie hyper lente et japonisante a la Furyo et bien que durant plus de 4 minutes, ‘Intersaison’ est la première interlude de « Contre-Temps ». Dans cette respiration poétique, Flavien Berger exploite au mieux sa voix dans un parlé-chanté qui n’a rien à envier à Gainsbourg.

Sur un synthé et des basses fleurant bon les 80´s, Flavien Berger s’accorde des pas de côtés avec notamment le second interlude de cet album, ‘Hyper horloge’, un morceau ultra kitsch qui nous guide en douceur vers l’avant-dernier morceau de l’album : « Contre-Temps ».

‘Contre-Temps’, le titre qui donne son nom à l’album

Sur le titre éponyme de l’album, Flavien Berger invite la chanteuse Bonnie Banane que l’on a pu voir aux côtés de Myth Syzer pour le fameux titre ‘Le Code’ notamment. Bonnie Banane avec son timbre si suave et que l’on sait très fine parolière, est l’une des surprises majeures de ce disque. Leurs deux univers se rencontrent et fusionnent sur 14 minutes de musique.

Dans sa durée déjà, ce morceau s’éloigne des productions actuelles et de leur format radio qui plafonne à 3 minutes 30. Avec une construction et une structure qui font penser au jazz, Contre-Temps’ nous narre une romance animale entre ces deux protagonistes (Flavien et Bonnie). Ils essaient tant que possible d’épuiser le concept de contre-temps. Dans la première partie, c’est avec une romance ratée et l’histoire d’un couple qui ne cesse de se manquer, vivant dès lors à contre-temps. Tour à tour, ils se répondent et nous suivons leurs vies qui se frôlent sans jamais se toucher. Guidées par un violon, véritable fil rouge de ce titre, leurs voix finissent par se rejoindre sur un refrain bestial puis sur une subtile digression anaphorique sur le Syrah. Pour nous faire retoucher le sol en douceur, une envolée de violons ultra cinématographique vient clore ce titre, tout comme pour le titre éponyme de son précédent album, ‘Leviathan’.

En guise de conclusion, le titre ‘Dyade’ est porté par la voix Flavien Berger et une envolée de guitare de 4 minutes. De quoi vous aider à sortir doucement de cet album avant d’y retourner à coup sûr.

Avec des éléments personnels et une composition toute singulière, Flavien Berger réussit avec « Contre-Temps » à frôler l’universel de chaque situation, et c’est beau.