Avec son 3ème album solo,« Huit Regards Obliques », Etienne Jaumet choisit de puiser dans des classiques du jazz pour y ajouter sa propre patte. Listen Up vous en parle:

Enregistré en 3 semaines et mixé par son compère du label Versatile Records, I:Cube, cet album efface toutes les idées reçues que l’on peut avoir sur le jazz. Armé, entre autres, de son saxophone et d’une TR-808, Etienne Jaumet offre des versions très brutes et plus électroniques de titres originaux. Si l’on retrouve les bases et l’essence des morceaux originaux, il ne faut pas s’attendre à du copier-coller, loin de là même. Dans « Huit Regards Obliques », il est question de jazz ,en effet, mais dans une forme hyper actuelle et très électronique. Il ne pouvait en être autrement quand on connaît la musique d’Étienne Jaumet.

Cet album s’ouvre avec le ‘Shhh/ Peacefull’ qui dans cette version perd en orchestration, mais gagne en rythme et en punch pendant les 8 minutes, tout de même pour respecter la longueur du morceau original. La composition de Miles Davis devient plus brute et électronique. « Huit Regards Obliques » se poursuit ensuite sur la reprise du titre-phare de Sun Ra, ‘Nuclear War’, déjà ré-interprété fabuleusement en 2002 par le groupe Yo La Tengo. Ici, Etienne Jaumet a épuré au maximum les vocaux pour n’en conserver que l’apostrophe ‘Nuclear War’ pour fournir un morceau plus incantatoire. 

Outre son saxophone, la voix d’Étienne Jaumet est également bien présente sur ce disque en particulier sur ‘Theme de Yoyo’. La composition du Art Ensemble of Chicago, quartet américain formé à Paris à la fin des années soixante, prend une toute nouvelle couleur plus proche de la New Wave. Etienne Jaumet y chante la traduction littérale des paroles lui offrant une version plus hallucinée pour les oreilles francophones.

C’est sur  ‘Theme From A Synphony’ du saxophoniste Ornette Coleman, avant-dernier titre de cet opus, qu’Etienne Jaumet s’autorise le plus grand écart. Ici, le tempo est accéléré et c’est la boite à rythme qui donne le ton. Parsemé d’envolée free et acid, cette écriture donne le vertige quand on la compare à la version de 1976.

C’est sur les titres ‘Unity’, ‘Spiritual’ et ‘Caravan’, que l’on sent Etienne Jaumet le plus à l’aise dans l’exercice de l’improvisation/ré-interprétation. Il fait vraiment sien ces trois standards du jazz. Son trio à lui, boite à rythme, synthé et saxo, prend totalement possession des musiques pour créer du jazz à la Etienne Jaumet.

 « Huit Regards Obliques » se conclut avec ‘Ma Révélation Mystique’ l’unique composition d’Etienne Jaumet de cet album. Pendant plus 7 minutes, Etienne Jaumet nous livre l’étendu de sa palette sonore où, évidemment, le saxophone a une place centrale. Plein de modulation et de nappes, ‘Ma Révélation Mystique’, nous entraîne dans un tourbillon sonore dont Etienne Jaumet a le secret. 

 

Pour nous en dire plus sur les motivations derrière ce projet et sa vision du jazz, Etienne Jaumet nous a accordé quelques minutes juste le temps d’une mini-interview téléphonique :

Pourquoi huit morceaux et ces huit morceaux en particulier?

Le nombre n’est pas important en particulier, cela tient plutôt au processus de fabrication d’un vinyle et son format. En gros, le temps idéal est environ 42 minutes et dans ces 42 minutes, je suis arrivé à 8 titres. Après pour la sélection des morceaux, chaque son a son histoire. Ce sont des chansons que je jouais déjà dans l’intimité ou que des amis m’ont fait découvrir ou que j’ai découvert en empruntant des disques à la médiathèque.

Pourquoi sortir un disque solo maintenant, quand on sait que tu as une actualité riche notamment avec Zombie  Zombie ou encore Flavien Berger? Et surtout pourquoi un album de jazz?

J’avais très envie de faire un album solo et la musique électronique est parfaite pour ça. Je ne vois pas pourquoi les gens séparent les styles comme ça. Je me souviens qu’il y a avait eu une petite incursion de la musique électronique dans le jazz dans les années 90 avec l’Acid Jazz, ce qui globalement a été une déception, avec trop de syncope dans les morceaux. Pour le jazz, il faut du swing. Il me fallait du temps pour m’assumer dans ce style. Tout est parti de Spiritual que je jouais en concert et qui fonctionnait bien. Après cela s’est fait tout seul.

Ce disque a été enregistré en 3 semaines, c’est très court, il y avait une urgence à figer ses titres et faire Huit Regards Obliques?

Non, cela est plus lié à ma façon de travailler en allant très vite, c’est comme ça que l’inspiration me vient. Le manque de temps me booste, j’y vois plus de l’amusement que de la contrainte. J’ai plus ou moins enregistré un morceau par jour ou par jour et demie.

On sait que c’est I:Cube qui s’est occupé du mix, tu peux nous parler de votre collaboration pour huits regards obliques?

Avec I:Cube, on se connait bien et c’est un excellent musicien. Il n’y avait pas de recherche technique dans cet album. Il y a plus façon de faire sonner la musique et I:Cube a su conserver la spontanéité de ma musique.

Il n’y a qu’un seul morceau que tu as composé sur huit Regards Obliques, “Ma Révélation Mystique”, d’où vient ce titre?

Ce titre est un hommage à tous ces artistes qui m’ont inspiré et pour montrer que le jazz m’a révélé quelque chose de spirituel. C’est un morceau très modale, je suis parti d’un choix de gamme et d’une ouverture de filtre et après il y a eu mon saxo et le synthé.

Avec cet album, est-ce que tu as l’impression de contribuer au renouveau du jazz?

Non, c’est surtout que je sentais que j’en suis capable. Le jazz a un côté très institutionnel, c’est une musique qui s’apprend à l’école, mais la réalité est qu’il existe plein de jazz. Ils peuvent paraître peu accessible et difficile à apprécier aux premiers abords, mais pas du tout. Aujourd’hui, il y a déjà des gens qui font des choses très bonnes choses et qui participe plus à ce renouveau que moi, je pense à Laurent Bardainne avec Tigre d’Eau Douce ou Thomas De Pourquery.

Pour finir, tu convoques des grands noms de la musique dans cet album, est-ce qu’il y a des artistes avec lesquels tu souhaiterais collaborer?

Je ne crois pas, je ne me pose pas la question. Ce n’est pas en but en soi, pour moi. Les collaborations sont souvent des gens connus qui joue avec des gens connus et ça ne m’intéresse pas plus que ça. Mes collaborations se font surtout avec des connaissances.

Huit Regards Obliques est paru le 23 octobre sur le label Versatile Records et est à écouter d’urgence pour apprécier le swing inimitable d’Etienne Jaumet.