Pas de répit pour l’Arabian Fuzz ! Ses meilleurs représentants, Al Qasar, reprennent le chemin de la scène, avec pour première grosse étape le festival Rock In The Barn. C’est là qu’on est allés à la rencontre de ce kaléidoscope musical. Entre le Maroc, les Etats-Unis, la France, l’Algérie, l’Egypte, le Liban, la Jordanie… Al Qasar est une mosaïque collective qui porte haut les couleurs des rencontres entre Orient et Occident.

Entretien avec Thomas « Attar » Bellier, à l’origine du groupe, ainsi que DJ et producteur par ailleurs.

©Listen Up!

Au sein d’Al Qasar, vous venez tous d’endroits différents. Quels sont vos parcours, vos voyages ? Et comment vous êtes vous rencontrés à la croisée de ces parcours ?

J’ai grandi en France et suis allé vivre aux Etats-Unis une dizaine d’années. Je suis revenu en France il y a environ deux ans. Al Qasar, en gros c’est un collectif d’une dizaine de personnes qui gravitent autour du projet. On est égyptien, français, franco-américain, algérien, marocain, et jordanien. On a tous des parcours ultra-différents, mais on est tous des personnes qui ont bossé un jour ou l’autre dans des musiques qui sont à la rencontre Orient-Occident.

Tu as rencontré ces sonorités à quel moment ?

Ca a commencé quand je travaillais aux Etats-Unis. J’étais en studio avec un producteur qui s’appelle Matt Hyde, avec qui je bossais sur plein de gros projets, genre hard rock – on a fait les Deftones ensemble par exemple. Via lui, j’ai rencontré beaucoup de musiciens orientaux à Los Angeles – il y a une grosse communauté Arménienne dans la ville, et beaucoup de musiciens arabes.

De fil en aiguille, je me suis mis à jammer avec du monde. Un de mes très bons amis là bas est un poète jordanien. Lui écrivait des textes et jouait des percussions, je posais de la musique dessus, et ça a été la porte d’entrée. Je jouais aussi dans Blaak Heat, avec qui on a commencé à collaborer avec des musiciens arabes. C’est tout ça qui a fait que je me suis dit un jour « allez, on va lancer un projet garage-rock-psyché oriental, avec des paroles en arabes ». Arabian Fuzz !

Quels sont les principaux thèmes que vous abordez dans ces paroles ?

Les paroles ne sont pas neutres. C’est bien engagé, on essaie de se frotter à des sujets difficiles. Sur l’album qu’on vient de sortir, les paroles ont été en partie écrites par Jawad El Garrouj ainsi qu’Alfred Madaïn, mon pote jordanien. On parle de liberté politique, de liberté de parole, de l’expérience des réfugiés, de la place de la femme dans la société.

Dans l’enregistrement de votre récent album ‘Miraj’ (sorti le 5 Juin dernier), y a t-il des moments où le contexte dans lequel vous étiez est venu nourrir ces sujets ?

Oui. On a en partie enregistré l’album au Caire. On avait été invités plusieurs fois à aller là bas jouer et faire des résidences. Au fur et à mesure, on a commencé à s’y faire beaucoup d’amis. Ce sont des gens qui ont vécu la révolution en 2011, voire certains faisaient partie du mouvement, et dont la vie est hyper difficile depuis.

Entre la répression politique, dès que tu essaies de t’engager un peu sur un sujet, et l’idée très présente de ne jamais trop critiquer le pouvoir, ces gens là vivent souvent dans la peur. Le fait d’aller travailler là bas sur l’album, ça a à la fois donné une représentation concrète aux paroles, mais ça les a également inspirées.

Dans ce même album, vous faites une reprise magique de « Dance of Maria », d’Elias Rahbani. Ca vous est venu comment, l’idée de la faire ?

Quand j’ai monté Al Qasar, l’idée de base c’était de faire un truc qui fasse honneur à la pop psyché du Moyen-Orient, surtout celle des années 60 et 70. Cet album d’Elias Rahbani, ‘Mosaic of the orient’, pour moi c’est la première pierre de tout ce courant. Même si Al Qasar a pas mal évolué depuis ses débuts, je me suis dit que dans le premier album on était quand même obligés de payer le tribute à Elias Rahbani.

Histoire marrante : vu qu’on a sorti cette reprise, j’ai quand même écrit à l’éditeur, de la grande famille Chahine à Beyrouth, qui sont les mecs qui se sont accaparés le business du disque dans le Grand Liban. Il l’a faite écouter à Elias, qui a dit « J’approuve ». On a donc sorti la track avec sa bénédiction.

Question rituelle : vous avez joué aux Transmusicales. Ca s’est fait comment, et particulièrement la rencontre avec Jean Louis Brossard ?

Il était cool ! Aux Transmusicales, on a fait un set qui était hyper compliqué et intense. On est arrivés sur scène à 3 heures du matin, ça a été une des journées les plus vénèr’ de ma vie. Je sors de scène, je suis dégoulinant de sueur, et là Jean Louis arrive et me tape un énorme câlin !

Je ne l’ai pas rencontré personnellement avant qu’il nous programme, mais je sais qu’il s’est dit de nous « voilà des gars qui sont dans la lignée de Rachid Taha« , et je crois que c’est ça qui l’a bien branché. Quand on a joué, c’était pile après la mort de Rachid. On a donc fait un hommage sur scène. En plus on jouait avec Mehdi Addab dans Al Qasar, qui lui a beaucoup joué avec Rachid. Il y a eu une larme qui s’est formée à un moment du set ! C’était unique comme concert.

Est-ce qu’il y a un autre concert qui vous a marqué ?

Un concert important pour la carrière du groupe, c’est la première fois qu’on a joué en Egypte, au Caire, pour un festival. C’était la première fois qu’on prônait notre musique, le métissage du projet qu’est Al Qasar, et l’engagement des paroles. C’était la première fois qu’on jouait devant un public 100 % arabe, et la première fois devant autant de monde (6 500 personnes). On avait un peu peur que les gens se disent « C’est qui ces gars favorisés qui viennent de France et qui commencent à nous parler de liberté politique ? »

Au final, quand on est arrivés, c’était juste magique. On avait sorti qu’une seule track à l’époque, et je te jure que les gars chantaient les paroles ! De ce morceau, mais aussi de tous les autres morceaux ! Ils captaient où ça allait et ils reprenaient les refrains en coeur. C’est ce jour là que l’histoire d’amour avec l’Egypte a commencé. C’est de ce concert qu’ont découlé plein d’amitiés et de relations avec des musiciens, mais aussi avec un Centre Culturel au Caire qui nous a invités à faire une résidence. C’était peut être le concert le plus important de ma vie.

Comment est arrivée cette date ?

C’était une date co-organisée par l’Institut Français du Caire. Eux avaient entendu parler d’Al Qasar, et ils nous ont proposé le truc directement. On était deux groupes basés à Paris : nous et Acid Arab, et deux groupes cairotes.

Tu as fait pas mal de choses durant le confinement, les Corona-sessions, notamment. Vous avez continué à travailler avec le groupe pendant cette période ?

Pour le groupe ça a été compliqué, parce qu’en Janvier-Février on était en train de monter le live, et on avait tous consacré beaucoup de temps à ça. On s’est pris une bonne claque, en plus de toutes les dates annulées. On a donc mis un peu les choses en plan avec le groupe.

A ce moment-là j’ai eu beaucoup de travail en production. J’ai eu la chance de bosser avec Emel Mathlouthi, et également fait une chanson avec Dina El Wedidi. Donc pour ma part ça allait. Il fallait rester actif, et faire des choses qu’on avait pas encore eu le temps de magouiller.

Quel a été ton premier concert post-confinement ?

Il y a deux semaines j’ai fait une soirée au Cabaret Sauvage intitulée « ¡Liban Mön Amöur? », qui était un fundraising pour le Liban. C’était ma première expérience de grosse teuf post-confinement. Il n’y avait pas de distanciation, mais tout le monde portait un masque et le service de sécurité était hyper vigilant.

Ca a bien marché, et deux semaines plus tard on a toujours pas entendu parler d’un cluster COVID. Et c’était fou, il y avait des gens dans le pit en train de danser comme des malades; j’ai vu des gens se choper avec le masque ! Bref, ça m’a bien fait marrer.

Mask In The Barn ©Listen Up!

Que t’apportent toutes ces choses que tu fais en parallèle d’Al Qasar ?

J’essaie de travailler comme producteur, comme par exemple avec Dina El Wedidi. Mon implication dans Al Qasar, je la vois exactement de la même manière. Je suis là pour composer, pour arranger, pour enregistrer et pour jouer en live.

Avec quels artistes aimerais-tu travailler en tant que producteur ?

Il y en a énormément, dans le monde arabe ! Yasmine Hamdan par exemple. J’aime beaucoup composer pour des chanteurs et des chanteuses !

En termes de collaborations, qui est la personnes derrière les visuels très cools de « Miraj » ?

Ca a été fait par un des mes très bons amis qui est un putain de photographe de mode et qui s’appelle Abdelwaheb Didi. C’est un vrai rockeur, mais c’est aussi quelqu’un qui fait des trucs hyper hyper mainstream : il travaille par exemple avec Carla Bruni. Les visuels viennent d’une idée qu’on a eue il y a très longtemps autour d’un verre. Il m’a montré des vieux trucs africains qui démontaient et m’a dit « C’est ça que tu veux ! » Des trucs d’un photographe sénégalais des années 50-60. Il a pris l’idée, l’a faite sienne, et a essayé de l’inscrire dans une tradition photo africaine.

Y a t-il des artistes, pas forcément connus sur la scène française, que tu aimerais nous faire découvrir ?

Il y a ces groupe palestinien qui s’appelle DAM, c’est du hip hop/rap un peu vénère, et politiquement ultra-engagé !

Gaye Su Akyol aussi, une chanteuse d’Istanbul et son groupe, qui font du psyché-surf-oriental qui démonte.

Ah, il y a aussi 47Soul, un groupe palestinien ultra hype qui est HUGE au moyen orient mais inconnu en occident, ils combinent le dabke et le chaabi (grooves orientaux tradi) avec l’electro, le dubstep.

Et est-ce que vous connaissez Love and Revenge ? C’est un des side-projects de Mehdi Addab, avec qui on collabore dans Al Qasar. C’est un projet musical et visuel – il y a une artiste VJ, La Mirza, qui balance des vieux films égyptiens pendant que le groupe joue. Le groupe est formé de Rayess Bek, qui est un peu un ponte du hip hop libanais, de Mehdi Addab, et d’un autre français dont j’ai oublié le nom aux claviers. Je sais qu’ils vont jouer à l’Institut du Monde Arabe en Octobre. Ils remixent des vieux films, mais aussi des chansons syriennes, libanais, égyptiennes… sauce oud électro.