L’un des plus grands plaisirs de la vie est d’observer l’évolution de la scène jazz Londonienne durant ces dernières années, c’est pour ça qu’on a été voir Sons of Kemet, Nubya Garcia et Cktrl au Pitchfork Music Festival de Paris. On vous raconte :
L’énergie, maitre-mot de ce concert, s’est accentuée doucement mais sûrement au fil des heures. Cktrl a ouvert la soirée avec des morceaux sereins et introspectifs de l’EP « Robyn » sorti en 2020. Ce DJ, producteur et musicien multi-instrumentaliste a commencé par délivrer une mélodie explorative à la clarinette qu’il a ensuite substitué par son saxophone. Il continue une expression musicale qui reflète un état d’esprit rêveur, occupant un espace amorphe entre le jazz classique, l’improvisation et la soul mélodique. La proximité des microphones permet le dévoilement des détails de sa respiration, renforçant le caractère méditatif de la musique.
Après cette première partie très calme, place à l’une des protagonistes indiscutables de la communauté jazz anglaise qui entre en scène accompagnée du batteur Sam Jones, le double bassiste Daniel Casimir et le claviériste Al McSween. Sans prévenir, Sam Jones inaugure cette 2ème partie du concert par un intense solo de batterie, Nubya Garcia et le reste du groupe le rejoignent, les spectateurs se parent de leurs plus beaux stank faces et la fête commence
Elle invite le public à se défaire de tout complexe pour bouger comme bon lui semble, et nous embarque en plaisantant dans une leçon pour apprendre à bien prononcer son prénom : Apparemment c’est nu-ba-ya, non pas Nu-bya. Quand elle n’est pas entrain de jouer, Nub(a)ya se transforme en danseuse et en conteuse captivante, revenant sur son expérience du confinement et exprimant sa sincère reconnaissance de jouer à Paris, « the best crowd of this tour ».
Les tracks joués font partie de son album « Source » sorti en 2020, qui mélange des sonorités dub-reggae ou ethio-jazz aux principes fondamentaux du jazz classique, pour incarner un large spectre d’émotions. Elle rend également hommage à son propre héritage afro-caribéen en s’éloignant parfois des rythmes traditionnels du jazz avec son jeu lyrique mais sans jamais éclipser les autres musiciens.
Nubya quitte la scène en s’excusant de ne pas avoir eu plus de temps pour jouer, puis se précipite vers le balcon du Bataclan, une Budweiser à la main et le regard plein d’anticipation pour Sons Of Kemet, qu’elle applaudit comme la plus grande des fans au moment où ils montent sur scène après la pause.
Le groupe est dirigé par Shabaka Hutchings, Saxophoniste, compositeur et figure incontournable de la scène du jazz londonien. Il est accompagné des batteurs Edward Wakili-Hick et Tom Skinner, ainsi que du brillant tubiste Theon Cross, un artiste qui ne fait que pousser les limites de son instrument depuis des années.
Sans dire un seul mot, Sons Of Kemet commencent un spectacle effervescent qui dure plus d’une heure non-stop, interprétant des morceaux de leur dernier album « Black To The Future » sorti en mai 2021. Grâce à l’esprit jam du jeu dû à la grande alchimie entre les membres, la progression des tracks est beaucoup moins structurée en live qu’en suivant la succession des morceaux de l’album.
Ils accélèrent le tempo et la frénésie jusqu’à nous laisser penser qu’il serait physiquement impossible pour eux de continuer à jouer, et pour le public de continuer à danser. Mais le point de rupture arrivé, le tempo change de nouveau et leur endurance ne nous laisse pas le temps de respirer.
Sons Of Kemet sont ensuite rejoints par le poète Joshua Idehen pour une récitation de son poème « Field Negus », aussi le premier morceau de « Black To The Future ». Ce choix informe de la dimension politique de cet album dont la conception a été une réaction directe au mouvement Black Lives Matter.
Après avoir quitté la scène pendant quelques minutes, le groupe revient pour l’encore accompagné une autre fois de Joshua pour interpréter « My Queen Is Doreen Lawrence », un morceau de l’album « Your Queen Is A Reptile » sorti en 2018. Les dernières minutes du concert sont explosives et l’énergie y est magnifiquement agressive.
En sortant du Bataclan, on croise Nubya Garcia et Sam Jones et on s’arrête pour discuter avec eux et les remercier pour un très bon concert :
“This was one of the best crowds I’ve ever had”
“I hope you don’t say that to everybody”
“Nah, I don’t lie to people”
Ecrire un commentaire