Les oreilles n’ont pas de paupières, ne cligne pas des yeux ! Deux minutes contemplatives et l’esprit est ouvert.
Clique et lis, prends goût et reviens-y.
« Vermine stupéfaite, sans foi, sans loi, sans raison ni fin, je m’évadais de la comédie familiale, tournant, courant, volant d’imposture en imposture. Je fuyais mon corps injustifiable et ses veules confidences ; que la toupie butât sur un obstacle et s’arrêtât, le petit comédien hagard retombait dans la stupeur animale.
De bonnes amies dirent à ma mère que j’étais triste, qu’on m’avait surpris à rêver. Ma mère me serra contre elle en riant « Toi qui es si gai, toujours à chanter ! Et de quoi te plaindrais-tu ? Tu as tout ce que tu veux. » Elle avait raison : un enfant gâté n’est pas triste ; il s’ennuie comme un roi. Comme un chien.
Je suis un chien : je bâille, les larmes roulent, je les sens rouler. Je suis un arbre, le vent s’accroche dans mes branches et les agite vaguement. Je suis une mouche, je grimpe le long d’une vitre, je dégringole, je recommence à grimper.
Quelquefois, je sens la caresse du temps qui passe, d’autres fois – le plus souvent – je le sens qui ne passe pas. De tremblantes minutes s’affalent, m’engloutissent et n’en finissent pas d’agoniser ; croupies mais encore vives on les balaye, d’autres les remplacent, plus fraiches, tout aussi vaines ; ces dégouts s’appellent le bonheur ; ma mère me répète que je suis le plus heureux des petits garçons. »
Extrait de : Jean-Paul Sartre, Les mots.
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