Les oreilles n’ont pas de paupières, ne cligne pas des yeux ! Deux minutes contemplatives et l’esprit est ouvert. Clique et lis, prends goût et reviens-y.
« Tandis qu’il parlait, je commençai à ressentir une étrange pression ; c’était une lourdeur physique. Mes oreilles bourdonnaient ; mes yeux larmoyaient au point que je ne pouvais plus distinguer qu’avec difficulté la forme des meubles. Ma vue semblait avoir complètement perdu sa faculté d’accommodation. Malgré mes yeux ouverts je ne parvenais pas à voir la lumière intense des lampes à pétrole. Tout était obscur autour de moi. Des zébrures de phosphorescence couleur de chartreuse illuminaient des nuages sombres, en mouvement. Puis, aussi soudainement qu’elle avait baissé, ma vue se rétablit.
Je n’arrivais pas à savoir où j’étais. J’avais l’impression de flotter comme un ballon. J’étais seul. Je fus pris d’un accès de terreur, et ma raison vint immédiatement élaborer une explication qui me sembla alors vraisemblable : Genaro m’avait hypnotisé, en utilisant la flamme de la lampe à pétrole. Je me sentis presque satisfait. Je flottais doucement, essayant de ne pas m’inquiéter ; je pensais qu’un moyen d’éviter l’inquiétude consistait à me concentrer sur les différentes étapes que je devais franchir pour me réveiller.
La première chose que je remarquai fut que je n’étais pas moi-même. Je ne pouvais en fait rien regarder parce que je n’avais pas ce qu’il fallait pour regarder. Quand j’essayai d’examiner mon corps, je me rendis compte que je ne pouvais qu’être conscient et pourtant tout se passait comme si j’eusse contemplé du haut l’espace infini. Il y avait d’extraordinaires nuages de lumière éclatante et des masses noires ; les deux étaient en mouvement. Je vis clairement une onde de lueur couleur d’ambre qui venait vers moi comme une énorme vague marine. Je compris alors que j’étais comme une bouée flottant dans l’espace et que la vague allait me rejoindre et m’emporter. J’acceptai cela comme une chose inévitable. Mais, juste avant que la vague ne me frappe, il se produisit un événement inattendu – un vent me balaya hors de la mouvance de la vague.
La force de ce vent m’emportait à une vitesse prodigieuse. Je traversai un immense tunnel de lumières intenses et colorées. Ma vue se brouilla totalement puis je sentis que j’étais en train de me réveiller, que je venais de faire un rêve, un rêve hypnotique provoqué par Genaro. L’instant d’après, je me retrouvai dans la pièce avec Don Juan et Genaro. »
Carlos Castaneda, Le feu du dedans, traduit par Amal Naccache
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