Listen Up vous fait revivre cette deuxième journée de la Route du rock édition 2023 qui a été aussi riche en intensité que diverse musicalement. Sans doute la formule magique pour le futur du festival ?
Cette année, les festivalier.es ne s’y sont pas trompé.es : la programmation offrait une palette musicale riche et pointue, avec des classiques comme des groupes plus inattendus au Fort-de-Saint-Père. Cette deuxième journée, si on ne compte pas la soirée d’ouverture, a été l’occasion de retrouver d’anciennes connaissances et faire des découvertes : petit tour d’horizon.
Nous nous rendons d’abord comme chaque après-midi – sympathique petit rituel – sur la plage Arte Concert pour une petite sieste musicale. Aujourd’hui, c’est l’artiste suisse Leoni Leoni qui avance sur la scène pour s’assoir auprès de sa machine et de son micro. On annonce le ton d’emblée : nappes de son et voix mélancolique, on a affaire à un concert d’ambient. Pour nous, c’est exactement ce dont nous avions besoin après deux jours déjà de festival pour nous donner du baume au cœur. Un très joli moment et parfaitement adapté à ce milieu d’après-midi.
Retour ensuite sur le site du festival grâce au système de navettes – qui fonctionne mieux ce vendredi que la veille. On arrive tout juste pour le début du set de Grand Blanc sur la petite scène, prévus le lendemain mais qui ont remplacé à la dernière minute Billy Nomates. Le groupe est connu pour son post-rock atmosphérique, et c’est bien par là que commence cette journée sur site, avec ce concert très doux qui sert plutôt d’amortisseur aux émotions de la veille que de véritable lancée dans la soirée. Certains passages font mouche, notamment ceux avec la voix féminine et qui parviennent à amener le groupe sur de belles envolées.
Rendez-vous ensuite sur la grande scène où nous attendions avec excitation le set de Yo la Tengo, groupe légendaire new-yorkais du rock alternatif et noisy, et dont Ira Kaplan annonce lui-même que cela fait 18 ans qu’ils n’avaient pas joué à la Route du Rock, témoignage en tout cas certain de la longévité incroyable du groupe et de leur pertinence au fil des époques. Nous étions un peu fébriles en plus de l’excitation car le set du groupe à la Cigale plus tôt dans l’année avait été l’un des meilleurs moments live de notre mémoire récente, avec deux sets dans la même soirée parfaitement maitrisés. En arrivant sur scène très tôt dans la soirée, Yo la Tengo donne le ton instantanément avec une batterie surpuissante et un « Sinatra Drive Breakdown » qui part rapidement en chevauchées noisy. Ira Kaplan est aussi sauvage que d’habitude et semble ne plus pouvoir s’arrêter d’aller plus loin dans l’exploitation noise de se guitare, nous transportant rapidement dans une avalanche de décibels. La part belle du set est bien sûr faite à l’excellent dernier album du groupe « This Stupid World » sorti cette année. On a droit égalelement à quelques titres plus anciens tirés du classique « I Can Hear the Heart Beating as One » mais aussi à quelques titres plus rares de « Painful » comme « From a Motel 6 » et un très fort « I Heard You Looking » pour finir le set. En 1h, on reste évidemment un peu sur notre faim par rapport à la Cigale – ce qui est normal – mais Yo la Tengo aura en tout cas montré toute sa beauté et sa puissance dans ce court set. On espère ne pas attendre 18 ans pour la prochaine fois !
Après une petite pause, nous revoilà devant la même scène avec un changement d’ambiance complet et le set des Black Angels. Groupe phare de la scène revival du rock psychédélique de ce début de siècle – avec Brian Jonestown Massacre qui joue le lendemain – le groupe délivre un set sans surprise mais très efficace. A l’aide de ce qui a fait sa renommée, des riffs tranchants et fuzzy, une rythmique groovy et la voix planante de son chanteur Alex Maas, les Black Angels ont envouté le Fort-De-Saint-Père avec un aller direct vers le monde du psyché. Chaque membre du groupe arbore une veste en cuir « Death Song », du nom de leur album de 2017, et on sent que le groupe est rompu à l’exercice. Tête d’affiche classique des festivals de rock alternatifs et psychédélique, on a le droit à un goût du fameux Levitation Festival d’Austin dont le groupe est originaire. Avec un côté peut-être plus brut et musclé que la musique de Brian Jonestown Massacre, les Black Angels ravissent le public venu en nombre pour les voir et on comprend pourquoi. Si le groupe joue surtout des titres de son dernier disque, « Wilderness of Mirrors », il n’oublie cependant pas des morceaux du culte « Passover » et notamment le classique « Young Men Dead ». Top !
A nouveau on passe par une petite pause rafraichissement avant de se placer le plus en avant possible pour ce qui semble être la tête d’affiche de la journée, les Osees de John Dwyer. La formation californienne aux multiples incarnations – et orthographes – est toujours composé de M. Dwyer bien sûr, mais aussi de deux batteurs installés au centre de la scène, d’un bassiste à leur gauche et d’un claviériste placé légèrement en hauteur derrière les batteurs. Si visuellement on a l’impression d’une machine resserrée et d’un groupe qui cherche à rester proche et ensemble, on a la confirmation dès les premières secondes du set et l’ouverture avec « I Come From the Mountain », titre emblématique des sets live des Osees depuis maintenant dix ans. Nous avons vu le groupe beaucoup – BEAUCOUP – de fois en concert et dès cette première chanson on sent qu’ils sont venu avec des intentions fortes, que Dwyer semble en très grande forme. Le titre suivant, « the Static God » est encore plus percutant et le duo de batteurs semble plus que jamais inarrêtable. Les pogos s’en donnent bien sûr à cœur joie, peut-être plus que sur n’importe quel autre set depuis le début du festival jusqu’à présent. Le groupe enchaine ensuite avec des classiques, « The Dream » et « Tidal Waves » qui ont toujours un effet dévastateur en concert et qui ne laissent personne indifférent. On a beau être en extérieur, on se sent à certains moments comme dans une salle noire qui sent la sueur et l’alcool renversé. Les Osees jouent ensuite le morceau titre de leur dernier disque sorti le jour-même, « Intercepted Message », qui se base bien plus sur les claviers old school mais qui gardent la même énergie en live. Le set se poursuit avec la même intensité jusqu’à la fin, avec Dwyer redoublant de postures plus improbables les unes que les autres en véritable contorsionniste du garage rock. Nous nous retrouvons au milieu de la fosse pour une série de titres ravageurs comme « Withered Hand » et le toujours très puissant « Toe Cutter – Thumb Buster » – que Dwyer introduit faussement comme une « toute nouvelle chanson » – qui transforme la fosse en trampoline géant. Les choses ne s’arrangent pas à ce niveau avec « Animated Violence » et « Encrypted Bounce » pendant lesquels on se perd toujours plus dans la folie des Osees. Fait assez rare pour être mentionné, le public prend l’initiative spontanée de s’agenouiller massivement pendant une chanson et de sauter à l’unisson montrant à nouveau à quel point le respect est grand pour ce groupe devenu en peu de temps légendaire. On a ensuite droit au petit quart d’heure de punk hardcore avec trois titres du récent « A Foul Form ». Les Osees finissent le set comme à leur habitude avec «C » pendant lequel Dwyer s’en va chercher une bière pour chaque membre du groupe qui continue à jouer, les décapsule avant de les ramener à chacun toujours en tempo ! – comme pour dire « bien joué les gars ». On ne peut qu’acquiescer tant ce fût notre coup de cœur de la journée et du week-end peut-être bien.
On a tout juste le temps de se remettre de toutes ces émotions pour aller voir le set de clipping sur la petite scène en face. Le groupe de rap/horrorcore de Los Angeles est l’une des plus grosses surprises de cette programmation, puisqu’il fusionne habilement le gangsta rap US et la musique expérimentale/drone voire noise. Daveed Diggs, le rappeur du trio, ne se laisse cependant pas impressionner et nous assène ses couplets avec une aisance et une précision vocale vraiment saisissante. La pluie se met à tomber durant les premières minutes du set et ne s’arrêtera que vers la fin du concert – heureusement supportable pour les festivalier.es qui n’en lâchent pas un bout et qui réservent à clipping un accueil chaleureux. Diggs en profite pour plaisanter sur l’apparence sexy des auditeur.ices quand tout le monde est bien obligé d’enfiler sa protection de pluie. Si la musique du groupe est parfois difficilement accessible en version studio, le live donne une énergie communicative à leurs titres et passe vraiment plus facilement dans ce contexte. On apprécie tout de même les productions très particulières de clipping et leur capacité à assembler des sons très dissonants en un beat vraiment groovy. Le set est très court mais nous sommes très heureux d’avoir pu voir ce groupe encore rare en Europe et surtout en festival, et on se dit à nouveau que la Route du Rock tient quelque chose si c’est ce genre d’ouvertures musicales qu’elle souhaite faire.
Voici le dernier va et vient pour nous de la soirée avec un retour vers la grande scène où un long drap blanc est déjà étendu derrière la scène en guise de décoration – sobre mais efficace. On attend alors les Young Fathers, trio écossais aux origines aussi libériennes et nigériennes. Le groupe fait partie des formations iconoclastes que l’on adore tout particulièrement, et on connait leur potentiel en live depuis plusieurs années avec récemment une sacrée claque lors de leur passage à l’Élysée Montmartre en février dernier. On sait à quoi s’attendre donc, et on sait que le groupe n’aura aucun problème à imposer sa musique même dans un festival traditionnellement rock. Et les choses commencent du bon pied avec « Queen is Dead », un des titres les plus noisy du groupe. A l’aide d’un percussionniste, d’un guitariste, et de deux chanteuses supplémentaires, c’est une vrai troupe que l’on voit évoluer sur scène, parcourant l’espace de long en large et avec beaucoup d’intensité et de charisme. Cela donne un effet assez étourdissant – dans le bon sens – à la performance et on se rend compte qu’il est difficile de détacher ses yeux des différents membres du groupe tant il se passe toujours quelque chose de beau et d’intéressant à voir. La setlist est bien sûr consacré à l’excellent « Heavy Heavy », sorti cette année et qui semble à notre grande joie propulser le groupe vers une plus grande popularité. Les Young Fathers n’oublient cependant pas d’anciennes merveilles comme « Rain or Shine », « Old Rock’n’Roll », « Shame » ou encore le très dansant « Toy » en final. La beauté des harmonies vocales de Young Fathers s’entend particulièrement sur quelques titres plus facilement qualifiables de balades comme « I Heard » ou « In My View ». La complicité du groupe, qui tourne vraiment intensément cette année, saute aux yeux et on admire vraiment les moments où il.elles se rassemblent aux quatre coins de la scène de manière impromptu. Tout est au moins aussi beau et envoutant qu’électrifiant et on se dit qu’on assiste vraiment à ce qui fait la spécificité de ce groupe. On finit dans un cacophonie noisy et un G. Hastings qui laisse durer le noise quelques secondes en fixant le public comme un défi, et puis s’en va. Encore un grand moment dans une sacrée soirée.
Malheureusement nous accusons un peu le coup et n’avons plus l’énergie au live pourtant prometteur de Deena Abdelwahed qu’on espère voir prochainement. On rentre à notre tente avec pleins de sons et d’images en tête après cette soirée très éclectique mais toujours électrique. Merci la Route du Rock pour toutes ces émotions !
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