Les oreilles n’ont pas de paupières, ne cligne pas des yeux ! Deux minutes contemplatives et l’esprit est ouvert. Clique et lis, prends goût et reviens-y.
« La bouche de l’homme s’ouvre. La langue s’arrache violemment et s’en retourne au monde aqueux et elle nage avec délices et les poissons admirent comme elle est restée souple. L’homme la poursuit perdant son sang et lui, l’eau l’embarrasse. Il n’y voit pas fort clair. Non, il n’y voit pas fort clair.
Les œufs pour le repas du soir ont disparu. Cherchez les dehors mais au chaud. Œufs dans l’haleine d’un veau. Les œufs s’en vont là. C’est là qu’ils se plaisent. Ils se donnent rendez-vous dans l’haleine des veaux.
Allez me chercher mes ouragans ! Où sont entrés les ouragans ? L’ouragan prend sa femme et ses enfants. Il les roule, il les emporte, il part du milieu des mers. Il part pour un volcan, un volcan au panache clair qui le séduit fortement.
La prunelle trouve sa nacelle. Oh ! revenez ! revenez nacelle ! On pleure. On s’accroche. Le ballon n’a pas tellement besoin d’y voir. Il a surtout besoin d’un bon vent.
Le bras qui faisait ses adieux, tout à coup n’écoutant que son geste s’en est allé. Il se dirige mal dans la nuit obscure. Il se heurte. La main s’accroche et le bras tournoie et oscille entre l’est et l’ouest. Et s’il arrive à rejoindre sa bien aimée, comment sera-t-il reçu ? Comment ? Surement, il fera peur. Le voici donc qui meurt agrippé à une branche.
Un groupe de couteaux s’élève dans le tronc de l’arbre comme dans une cage d’ascenseur, s’éjectent et puis poignardent la campagne. Il devient imprudent de s’y aventurer. Les lapins qui durent sortir pour une cause ou l’autre s’en repentent amèrement et les blessures leur cuisent.
Pour finir, passe la brosse électrique. De chacun elle tire des étincelles, des animaux également, des arbres. Elle tire des étincelles d’abord, c’est joyeux. Puis elle en tire de longs fils lumineux, des fils cassés et la vie. Plus ne seront hommes les hommes touchés. Ni chiens les chiens ; ni saules les saules. Petits monuments de cendre et de charbon, petits monuments épars dans la campagne, que le vent vient dérober petit à petit en glissant. »
Henri Michaux, « La nuit des disparitions », extrait de Difficultés
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