Le groupe danois originaire de Copenhague sort son 5e album (déjà !), et s’approprie plus que jamais une grande variété de styles musicaux pour aboutir à son album le plus lumineux et exaltant.
Il est loin le temps où le quatuor sortait il y a 10 ans « New Brigade », l’album qui les a révélés comme l’un des groupes les plus prometteurs sur la scène post-punk actuelle. Un disque qui, aujourd’hui encore, secoue par son énergie chaotique et la violence primaire qu’il dégage. Après plusieurs disques dont « You’re Nothing » en 2013 qui prolongeait le programme du premier, puis « Plowing into the Field of Love » en 2014 (probablement leur chef d’œuvre) qui relevait les ambitions musicales du groupe à un niveau jamais imaginé, et enfin « Beyondless » en 2018 qui montrait une nouvelle maturité musicale dans l’écriture des chansons, Iceage est de retour.
Ce disque est l’occasion pour le groupe d’amener plusieurs nouveautés remarquables. Tout d’abord, un nouveau guitariste en la personne de Casper Morilla Fernandez a officiellement intégré Iceage, ainsi que sur la signature sur un nouvel label, Mexican Summer. Ensuite, un producteur externe a travaillé pour la première fois avec les Danois, et pas des moindres puisqu’il s’agit de Pete Kember alias Sonic Boom (connu pour sa participation au groupe légendaire Spacemen 3).
L’album a été enregistré au studio Namouche de Lisbonne dans des conditions difficiles (une fuite d’eau a envahi le studio et la pluie s’est infiltrée dans la salle d’enregistrement…). Et puis enfin, c’est surtout le son général de l’album qui surprend. D’abord les influences qui remontent plus loin dans le temps que celles qu’on a l’habitude d’entendre chez le groupe : des ballades rock 70’s, des chansons-jazz de crooner des années 50, du proto-punk fin des années 60, des rythmes disco un peu sombres… La palette sonore d’Iceage s’élargit de disque en disque. La grande surprise vient peut-être de l’absence quasi-totale de sonorités punk-rock classiques, ce qui bien sûr ne veut pas dire que « Seek Shelter » manque de la patte caractéristique du groupe.
L’album s’ouvre avec « Shelter Song » sur des cordes glissantes orchestrales qui sont suivies par une guitare lourde et bluesy. La voix d’Elias Ronnenfeld se pose ensuite délicatement sur la mélodie et la première surprise pour chaque connaisseur.e du groupe est à quel point Elias a évolué durant les dernières années en tant que chanteur : son charisme brut s’est raffiné et convient bien au nouveau style plus composé du groupe.
Après l’envolée que constitue le refrain la chanson se termine sur des chœurs gospel très épiques grâce à la participation du Lisboa Gospel Collective. Sans aucun doute l’une des plus belles chansons écrites par Iceage, et qui témoigne de l’ambiance générale du disque : un album plus lumineux que par le passé, comme un baume après la période difficile dans laquelle le monde est plongé et dont ce disque est forcément imprégné.
« High and Hurt » rappelle des titres de Beyondless par son agressivité rock et son inspiration des groupes punks des années 1970. L’influence des Stooges époque Fun House n’est pas loin sur ce titre. Une chanson à l’ambiance chaleureuse qu’on imagine facilement sur des speakers saturés dans un pub bondé de monde dont les pintes trop remplies coulent sur le sol à force de bousculades… Une chanson du monde d’après.
Juste après, « Love Kills Slowly » contrebalance l’énergie de ce deuxième titre avec une balade au piano dont le refrain, épique, explose grâce aux guitares saturées et par la réapparition du chœur gospel. Le titre, bien que cinématique et fort en émotion, est un peu répétitif cependant : on aurait aimé que le groupe développe un peu plus leur idée.
« Vendetta » ensuite démarre très fort avec un rythme dansant, peut-être la première fois qu’Iceage assume de faire ce genre de titre, et qui ne fait que monter en intensité. Sur une idée assez simple, le groupe démontre qu’une chanson n’a pas besoin de grand-chose pour apporter intensité, variations, et contagiosité mélodique.
Après ce brûlot, « Seek Shelter » offre à nouveau une grande diversité avec « Drink Rain », la chanson la plus facile d’accès jamais écrite par le groupe. Sur des accords jazzy et une mélodie légère, Ronnenfeld utilise un registre plus aigu et doux de sa voix qu’on a peu eu l’occasion d’entendre, et s’inspire un peu des intonations de crooner à la Frank Sinatra. « Gold City » arrive ensuite pour réveiller les esprits, avec des couplets qui rappellent certaines balades rocks comme « Downtown Train » de Tom Waits (après tout, le titre provisoire de la chanson était « Power Ballad » …).
Il y a quelque chose de l’énergie des Rolling Stones sur cette chanson, et plusieurs autres passages du disque, et c’est à ces références qu’on pense à l’écoute, qu’on se rend compte qu’Iceage est parti chercher des influences bien différentes qu’à l’accoutumée.
Un refrain parmi les plus instantanément entêtants de leur discographie, et puis on enchaîne avec « Dear Saint Cecilia », une ode à la sainte patronne des musiciens. Difficile à croire pour qui suit le groupe depuis quelques années, mais ici on dirait presque que le groupe tente sa propre version du vieux hard rock’n’roll à l’ancienne. Qui eut cru qu’Iceage tenterait le dad rock ? Le charisme du groupe et leur énergie indéniable font que le titre fonctionne malgré tout très bien.
« The Wider Powder Blue » est une autre balade explosive, qui commence par des arpèges de guitares assez délicats (et un xylophone ?), pour aboutir à un refrain intense accompagné de beaucoup de cuivres. Quelques riffs parmi les plus lourds du disque font les transitions (on pense presque à Black Sabbath).
Iceage a pris la bonne habitude de toujours bien terminer ses albums, et Seek Shelter ne fait heureusement pas exception. « The Holding Hand » est l’une des meilleures chansons de leur carrière, et l’une des plus uniques, avec ses petites vibrations de clochettes fantomatiques au début, la voix de Ronnenfeld pleine d’écho qui semble sortir d’un matin brumeux, et cette lente ascension amenant à des riffs lourds de guitares que le groupe martèle toujours plus puissamment (étrangement reminiscent des Swans), jusqu’à l’outro où Iceage montre bien pourquoi Iggy Pop a un jour déclaré qu’ « Iceage était l’un des seuls groupes actuels qui sonne vraiment dangereux. »
Que penser finalement de Seek Shelter ? Comme toujours avec le groupe de Copenhague, ils demeurent assez insaisissables. Mais en abandonnant beaucoup de sons et d’influences qui ont fait leur renommé, Iceage montre ici qu’ils peuvent aisément changer de style sans perdre ce qui fait l’âme du groupe. Même en adoptant des structures plus traditionnelles (beaucoup des chansons font le coup du classique couplet/refrain/couplet, etc), le groupe ne perd pas de son sens de l’urgence. Ce n’était donc pas le punk rock hardcore, ni le rock sombre des deux albums précédents qui caractérisaient essentiellement le groupe. Comme tous les grands groupes, Iceage n’a pas besoin de se répéter pour rester lui-même.
Le voyage a été depuis 10 ans un vrai périple avec son lot de rebondissements et de moments de beauté, et Seek Shelter ne fait que le perpétuer. On sait déjà que rien ne sera plus pareil à l’avenir. Avec son album le plus réjouissant et lumineux, Iceage offre une parenthèse de paix que nous sommes beaucoup à rechercher en ce moment, comme un havre à l’abri du monde.
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