Nous étions présents le 6 mars dernier pour assister à la performance live de l’artiste Le Tact (Sound Piece For Fondation Henri Cartier-Bresson), dans une salle de la fondation parsemée de photos en noir et blanc. Des photos où les sujets sont captés avec discrétion, dans un mouvement silencieux du photographe qui n’a pour but que de faire oublier sa présence pour mieux saisir son environnement.
Comme l’ont évoqué Clément Chéroux, directeur de la fondation, et Joseph Schiano di Lombo, dans leur conversation en introduction, c’est comme cela que le photographe décrivait son modus operandi dans un livre d’entretiens inédits qui a inspiré cet album (Puis-je encore garder quelques secrets ?, Atelier EXB, 2023).
Étonnamment, peut-être plus que les photos, ce sont les mots d’Henri Cartier-Bresson dans ce livre qui ont inspiré Joseph Schiano di Lombo pour ce nouveau projet. Dans un mouvement synesthésique du mot vers la note, il rend perceptible en musique ce que le photographe tentait de faire en mouvement. Un mouvement qui pourrait se résumer par les mots du photographe, pris à son compte par l’artiste dans le titre de la chanson qui clôture l’album : Afin de ne pas troubler l’eau.
Ces 7 chansons sont également, comme nous le dit l’artiste ce soir-là, une ode à l’intuition. Une ode découlant d’une interrogation persistante, presque cognitive : pourquoi ce schème de notes survient-il plutôt que d’autres notes ? Pourquoi ce rythme précis s’insinue-t-il intuitivement chez le musicien à la place d’un autre ?
C’est en tentant de répondre à ces questions et à partir de quelques notes survenues dans un instant fugace à son esprit que Joseph Schiano di Lombo a composé une œuvre énigmatique et vaporeuse, comme un doux rêve sous opium (on imagine).
Après cette conversation permettant de mieux comprendre son processus créatif, Joseph Schiano di Lombo, au piano et à la clarinette, accompagné de Camille Delvecchio à la harpe et Lydia Shelley au violoncelle, nous ont joué cet album dans une version acoustique et épurée.
Plus que des mélodies entêtantes, c’est une ambiance délicate et discrète qui affleure au travers de ces 7 chansons. Un impressionnisme hérité de Debussy qui laisse place à des sensations, à des images, plutôt que de planter un motif mélodique en tête. Des notes bleutées peuvent également rappeler certaines compositions du pianiste Ryuichi Sakamoto, avec un subtil dosage d’harmonies issues du jazz et du néoclassicisme.
Cette quarantaine de minutes suspendues s’est terminée par des applaudissements nourris dans la salle et un retour au réel soudain.
En cette période troublée d’actualités anxiogènes, ce mantra photographique et musical nous invite vers un chemin plus apaisant : approcher le monde avec respect et sensibilité et capturer l’essence des choses sans les altérer.
« Le photographe doit essayer de se faire oublier, deviner ce qui se dévoile d’une façon fugace, profiter de l’instant où la personne, dans son habitat, est face à face avec elle-même, et glisser délicatement l’appareil entre la chemise et la peau. » — Henri Cartier-Bresson
On pourra noter que pour l’enregistrement studio, que vous pouvez écouter en physique ou sur les plateformes, le musicien a ouvert pour la première fois ses arrangements à d’autres musicien·nes : Agnes Wasniewska (hautbois), Barbara Miziewicz (violoncelle) et Tomasz Baye Zietek (trompette), apportant leurs textures sonores et enrichissant cette œuvre en la rendant à la fois intime et collaborative.
Cet album comporte également nombre de sons concrets et des synthétiseurs aux sonorités soufflées, rappelant le vent, évoquant des espaces calmes, peu enclins au tumulte. Afin de ne pas troubler l’eau.
Ecrire un commentaire