Les oreilles n’ont pas de paupières, ne cligne pas des yeux !  Deux minutes contemplatives et l’esprit est ouvert.
Clique et lis, prends goût et reviens-y.

« Solstice d’hiver : la période la plus sombre de l’année. A peine éveillé le matin, il sent déjà que le jour commence à lui échapper. Il n’a pas une lumière où s’engager, aucun sens du temps qui passe. Il a plutôt une sensation de portes qui se ferment, de serrures verrouillées. Une saison hermétique, un long repliement sur soi-même. Le monde extérieur, le monde tangible de la matière et des corps semble n’être plus qu’une émanation de son esprit. Il se sent glisser à travers les évènements, rôder comme un fantôme autour de sa propre présence, comme s’il vivait quelque part à côté de lui-même – pas réellement ici mais pas ailleurs non plus. Il formule quelque part en marge d’une pensée : une obscurité dans les os ; noter ceci.

Dans la journée, les radiateurs chauffent au maximum. Même maintenant, en plein cœur de l’hiver, il est obligé de laisser la fenêtre ouverte. Mais pendant la nuit il n’y a pas de chauffage du tout. Il dort tout habillé, avec deux ou trois chandails, emmitouflé dans un sac de couchage. Pendant les week-ends, le chauffage est coupé complètement jour et nuit, et il lui est arrivé ces derniers temps, quand il essayait d’écrire, assis à sa table, de ne plus sentir le stylo entre ses doigts. Ce manque de confort, en soi, ne le dérange pas. Mais il a pour effet de le déséquilibrer, de le forcer à se maintenir en état permanent de vigilance. En dépit des apparences, cette chambre n’est pas un refuge. Il n’y a rien ici d’accueillant, aucun espoir d’une vacance du corps, où il pourrait se laisser séduire par les charmes de l’oubli. Ces quatre murs ne recèlent que les signes de sa propre inquiétude et pour trouver dans cet environnement un minimum de paix il faut s’enfoncer en lui-même de plus en plus profondément. Mais plus on s’enfoncera, moins il restera à pénétrer. Ceci lui paraît incontestable. Tôt ou tard, il va se consumer.

(…)

Il pause une feuille blanche sur la table devant lui et trace ces mots avec son stylo. Epigraphe possible pour le Livre de la mémoire. Ensuite, il ouvre un livre de Wallace Stevens (Opus Posthumous) et en copie la phrase suivante :

« En présence d’une réalité extraordinaire, la conscience prend la place de l’imagination » »

 

Extrait de : Paul Auster, L’invention de la solitude, traduit par C. Le Boeuf