Respectivement directeur et programmateur de la Route du Rock depuis 26 et 20 ans, François Floret et Alban Coutoux écrivent l’histoire du festival breton depuis son origine, ou presque. Ils nous ont parlé des débuts du projet, de son avenir, des grands moments, et des concerts qu’ils attendent le plus cette année !
Comment l’aventure de la Route du Rock a-t-elle commencé ?
François Floret : Avec une asso rennaise qui s’appelle Rock Tympans, créée en 1986 par Franck Rolland. Elle organisait des concerts new wave à Rennes. C’était pendant la grande épopée des radios libres avec notamment Radio Savane, sulfureuse radio rennaise dont faisait partie Franck Rolland, finalement censurée par le maire de l’époque.
Franck Rolland a ensuite repris une antenne radio à Bru (à quelques kms de Rennes) pour monter Canal B. Il m’a proposé de faire une émission. C’était tous les samedis, je parlais de new wave, de cold wave, de punk… un jour j’ai eu un invité venu de Saint-Malo, Ludovic Renoult, pour présenter le groupe Little Nemo. On a sympathisé et il a amené l’idée de faire un festival. Donc on a décidé de monter ça à Saint-Malo, puisqu’à Rennes il y avait déjà les Transmusicales et donc plus vraiment de place pour un autre événement important.
La première année (1991) on a commencé sans ligne artistique particulière, avec un soir en février, dans des salles. On a dû trouver un nom, et ce jeu de mot avec la Route du Rhum, que je n’assume toujours pas. (rires)
La deuxième année on a fait une programmation autour rock francophone pour répondre à la volonté de la Mairie de développer l’axe francophone entre Québec et St Malo. Ça a bien marché mais ça ne nous satisfaisait pas vraiment.
Pour la troisième année on a fait ce qui nous plaisait, on s’est lâché. Avec du rock anglo-saxon, et Dominique A mais qui est dans cette mouvance très indé, très novatrice.
Ensuite il y a eu cette rencontre magique avec Bernard Lenoir, qui avait une émission sur France Inter et une émission télé, Les Enfants du rock, dans laquelle il traitait l’actualité pop rock anglaise. On avait le même l’univers musical, et il nous a dit : « Je suis parrain des Eurockéennes mais je ne m’y retrouve plus, c’est trop commercial. J’aime bien votre programmation, j’ai envie de vous aider ! ». On venait de programmer Radiohead à Rennes devant 100 personnes, grâce à la fille qui programmait ses émissions. On est rapidement tombé d’accord avec lui pour qu’il nous soutienne, avec l’appui de la radio. Lui voulait un festival d’été, on est tombé d’accord sur mi-août. Ensuite on a trouvé le lieu. Pour rassurer la Mairie on a fait un concert test avec Noir Désir en août 1993.
La quatrième édition était la première édition au Fort Saint-Père, l’été, sur un soir, en 1994. On est passé à deux soirs en 1995, trois en 1996. En 2002 on a ajouté les concerts à la plage, en 2003 au Palais du Grand large. La scène du Fort en 2011, et en 2013 la soirée inaugurale à la Nouvelle Vague.
On a étoffé le programme petit à petit pour arriver aujourd’hui à un événement qui dure 4 jours.
Quelle est la recette pour conserver votre ADN indé et ne pas basculer vers quelque chose de plus commercial ?
Alban Coutoux : Ne pas faire de compromis, rester fidèle aux idéaux d’origine du festival. C’est vrai qu’il y a des têtes d’affiche, des groupes « découvertes », des groupes mythiques de l’indie-rock… ce sont des choses qui sont pour nous sincères et pertinentes à programmer. L’objectif c’est de garder cette ligne directrice et ne pas faire de compromis.
Comment voyez-vous la Route du Rock évoluer à plus ou moins long terme ? Rester fidèle à ce format « intermédiaire » ?
François : Constat récent, depuis un an ou deux : on a le cul entre deux chaises. On a un événement relativement bien repéré, mais je ne dirais pas qu’on est un gros festival. Aujourd’hui l’économie bascule vers le gigantisme donc soit tu crèves soit tu te réinventes. Nous on n’a jamais été attiré par le gigantisme donc on a envie de revoir un peu la formule.
On n’est ni un petit ni un gros festival, c’est à la fois un avantage et un problème : on a les problèmes d’infrastructures et de techniques d’un gros, de salariat ; on n’a pas la souplesse d’un petit. On est à 70% d’autofinancement, donc relativement peu aidé.
L’idée c’est de se recentrer sur l’artistique, sur le qualitatif plutôt que le quantitatif. On a jamais été à courir après des milliards de spectateurs.
L’idée c’est aussi d’apporter de nouvelles propositions à notre public, autour de la restauration par exemple : avec des dégustations de vins, des chefs étoilés ou des chefs locaux. Dans l’esprit un peu bobo forcément, mais c’est notre public.
Depuis plusieurs années on fait des efforts sur ce créneau, et on essaye d’aller plus loin. Les gens viennent en vacances, ils viennent assister à des concerts de qualité, et rares, mais aussi profiter de la côte magnifique de Saint-Malo, et se faire plaisir niveau gastronomie.
On essaye d’offrir un package qualitatif, c’est notre ambition pour les années à venir, tout en n’excluant pas d’avoir un grand nom, comme on a eu Nick Cave, Portishead, ou Björk si elle était venue.
Comment faites-vous, face à la montée des cachets des groupes ? Quand on voit par exemple que LCD Soudsystem tourne à 350 000€…
Alban : ben on n’arrive pas à faire LCD (rires)
François : on est surtout content de les avoir programmés deux fois à un prix ridicule
Alban : même la première année on trouvait ça cher…
François : on est réputé pour faire un peu les manouches en termes de cachets
Donc effectivement c’est dur de s’aligner avec les gros festivals ?
Alban : pour moi un festival ne se résume pas aux têtes d’affiche. C’est trouver un équilibre entre une trentaine d’artistes, c’est de penser les soirées sur un déroulement logique. On recherche une montée en puissance au fil de la soirée !
On a d’autres arguments à faire valoir. Notre longévité par exemple. Ou le fait que les groupes savent qu’ils vont jouer avec une affiche cohérente. Y’a pas mal de groupes qui ont des affinités entre eux, qui sont contents d’aller voir les autres concerts du festival. C’est beaucoup plus rare dans un gros festival.
François : On parle souvent de Placebo et de Muse. Quand on leur demande leur meilleur souvenir de concert en interview, les mecs répondent la Route du Rock. (Matthew Bellamy dans Rock & Folk). C’est super flatteur pour nous !
Même chose pour Brian Molko qui dit « je vais jouer chez eux quand ils veulent », parce qu’il y a cette cohérence. Enfin pour lui c’est un peu particulier, il s’est bien amusé la dernière fois, bien lâché… (rires) on a eu des plaintes ! Mais bon, c’est un mec adorable.
Ils se sentent super bien accueillis et ils sentent que ce n’est pas un accueil de professionnels, mais de passionnés de musique ! Les groupes sont contents d’être là, certains veulent rester plus longtemps et trainent parfois dans la région avant ou après leur concert. Sonic Youth est resté en vacances. Robert Smith (The Cure) est venu en vacances avec sa famille en 2005. Et après ça parle, le bouche à oreille entre artistes nous bénéficie. Notre arme c’est une cohérence globale dans le projet, et notre sincérité.
Ces groupes sont issus de la musique indé. C’est un truc dans lequel on ne fait pas de concessions, on ne veut pas entrer dans un système. Ils se rendent compte qu’ils arrivent dans un écosystème qui est exactement le leur, qu’ils sont chez eux, qu’on pense de la même manière.
A notre façon on est des punks, et eux le sont aussi donc ils sont comme des poissons dans l’eau.
A la Route du Rock, on voit beaucoup d’artistes qui tournent avec Super! et qu’on retrouve souvent au Pitchfork Festival, et pour ainsi dire nulle part ailleurs. Comment vous travaillez avec eux ?
Alban : C’est un travail quotidien avec tous les agents. C’est vrai qu’on a pas mal de groupes en commun avec Super!. Mais ce qui nous intéresse avant tout c’est les artistes, pas qu’ils soient avec untel ou untel.
François : Avec Super on est sur les mêmes esthétiques donc c’est normal. On va aussi trouver des artistes chez Nous Production, chez Alias Production…
Alban : au-delà des relations de travail, y’a aussi le calendrier des artistes qui entrent en jeu. Les fenêtres sont souvent assez réduites, certains groupes en tournée vont être en Europe seulement 10 jours pendant l’été.
Côté programmation toujours, on a remarqué un rajeunissement des groupes français présents à la Route du Rock depuis quelques années. C’est une volonté de votre part de propulser les jeunes pousses françaises ?
Alban : Jusqu’à maintenant la nationalité d’un groupe nous a rarement intéressée, mais c’est vrai que sur la Plage depuis quelques années on voit pas mal de nouveaux artistes et de nouveaux labels vraiment intéressants. Les groupes français commence à ne plus avoir de complexes par rapport aux groupes anglo-saxons, comme ça pouvait être le cas il y a 20 ans. On avait très peu d’ovni comme Dominique A qui proposaient des choses qui ne ressemblaient pas aux anglo-saxons. La French Touch a complètement désinhibé les artistes français d’abord sur la musique électronique, ensuite y’a eu des répercussions sur toutes les esthétiques.
Depuis 2008 ou 2009, on invite chaque été un label avec un artiste sur la scène de la Plage. Cette année c’est nouveau puisque les trois jours seront consacrés au collectif de la Souterraine avec Requin Chagrin, Aquagascallo et Halo Maud. Ils font un travail formidable avec leur compilation, c’est là qu’on s’aperçoit de toute la richesse de ces jeunes groupes.
François : C’est bien que tu poses cette question parce que souvent on nous reproche de ne pas faire beaucoup de groupes français, on nous dit même qu’on est anti-français. On n’a pas de quotas, mais on invite tous les ans sur la Plage des artistes français en devenir, donc je pense qu’on est pas mal derrière eux !
Alban : On aime aussi avoir le côté événement, programmer un groupe français qui a déjà fait 50 dates sur l’année en France ça n’a pas trop de sens pour nous.
Vos meilleures et vos pires éditions du festival ?
François : je pense qu’on a vécu ensemble les deux pires éditions du festival. En 1997, c’est la période de transition de bénévole à professionnel. C’était très douloureux financièrement, et en plus on a été victime d’une escroquerie. On aurait pu s’arrêter là…
Mais on a retrouvé de l’énergie en 1998 et on a fait une édition magique qui est devenue la pierre angulaire dans l’histoire du festival, ça nous a vraiment boosté. C’est vraiment l’édition fédératrice, on a constitué un noyau dur au sein du festival, avec un bel esprit d’équipe. On a réussi un exploit incroyable alors qu’on était interdit bancaire.
2002 était aussi une mauvaise année. Une tempête nous est tombée dessus, et on ne sait toujours pas comment on a pu s’en sortir techniquement, parce que la pluie tombait en oblique sur la scène. On n’était pas assuré donc si ça s’arrêtait on était mort. Et je ne sais toujours pas comment ça a tenu.
Alban : ça a tenu grâce au public. Le public est resté et les artistes ont continué à jouer.
2005 c’est une année charnière avec l’apothéose de The Cure. 2H30 de concert en direct sur Arte. Avec aussi Sonic Youth, The Polyphonic Spree… et une fréquentation record !
Les plus belles anecdotes ?
François : Robert Smith oui qui est venu avec son papa et sa maman, qui mangeaient au catering avec nous. Il y avait aussi les enfants de Pol Thompson (guitariste de The Cure). Son fils, qui devait avoir 12 ans, était sur scène avec la guitare de son père et là tu te dis « Ah ouais, c’est donc dans les gênes ! ». C’était un moment incroyable.
Je suis un fan de foot et du Stade Rennais. On a remis le maillot de Rennes avec « The Cure » floqué dans le dos à tout le groupe.
Il y a aussi eu Sonic Youth, drapé dans un drapeau de la Route du Rock… on a quasiment le même logo donc c’était chouette !
Les 3 concerts que vous attendez le plus dans cette édition ?
Alban : Des artistes qu’on n’a pas vus, qu’on va découvrir avec le public. Il y a Minor Victories que j’ai vraiment hâte de voir !
François : Oui Minor Victories aussi ! Moi je suis curieux de voir LUH. Soit on aime soit on n’aime pas.
Alban : c’est tellement particulier comme univers, et sa voix tellement…
François : Moi je suis client !
Alban : Exploding View j’ai aussi hâte de voir. C’est le nouveau projet d’Anika, qui est déjà venue en 2011 avec Beak>, le projet de Geoff Barrow (Portishead). Anika a une voix un peu à la Nico, très hantée. Là elle a monté un nouveau projet avec deux Suédois et un Mexicain, et c’est super.
Et c’est vrai qu’on attend tous The Avalanches, 15 ans après…
NB : on n’attend plus The Avalanches
Une petite question pratique pour finir : est-ce que vous pouvez glisser un pot-de-vin à la Mairie pour qu’on puisse boire de la bière à la Plage cette année ?
François : Sur la Plage ça m’étonnerait. Mais c’est vrai que l’ambiance devrait être beaucoup plus cool parce qu’il y a eu un changement de propriétaire au bar de la plage. C’est un jeune qui adore le festival et la voile, il est très ouvert donc l’ambiance sera bien plus sympa !
Alban : Il vaut mieux boire une bière fraiche au bar qu’une bière chaude sur la Plage.
(Rires)
Propos recueillis par Maxime Guthfreund et Mickaël Burlot
L’édition 2016 de la Route du Rock, c’est du 11 au 14 août à Saint-Malo. On vous parle de la programmation par ici.
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