Alain Lahana est de ces faiseurs d’étoiles qui savent se taire pour mieux écouter et qui, dans l’industrie musicale d’aujourd’hui, parvient encore à placer le rapport humain sur un piédestal.
Le manager des mythes sonores est animé par un idéal noble, celui de la passion. Son entourage de vie ne peut se résumer à Patti Smith, Iggy Pop ou Ayo. Il va au-delà des codes du succès et c’est avec un immense plaisir que nous avons pu discuter avec lui autour d’un café dans son « atelier » parisien.
Comment une telle aventure peut-elle commencer ?
A.L : Ce qui est intéressant c’est qu’à l’époque il n’y avait aucune structure, on a un peu écrit ce métier. Les moyens n’étaient pas les mêmes, l’envie commune était celle de faire bouger les choses. C’est une série d’histoires, de rencontres.
Vous avez tout de même dû avoir une certaine chance dans ces rencontres, non ?
A.L : C’était un terrain de jeu, les opportunités arrivent quand on laisse la porte ouverte. C’est facile de monter dans le train mais il faut se démerder pour rester dedans. On passe d’un groupe local à un truc départemental, puis national.
Pour arriver au stade où vous manager des « grands », c’est un sacré chemin !
A.L : Je vais avoir 60 ans ! Quand j’avais 19 ans je suis monté en stop pour voir Patti Smith jouer à Paris, 40 ans après c’est l’une de mes meilleures amies, que je conseille.
Comment c’est arrivé justement avec Patti Smith ?
A.L : Avec Patti, la vraie rencontre a réellement 20 ans. On s’est croisé plusieurs fois mais c’est lors de son retour à la scène que je me suis retrouvé impliqué via un copain. Le courant est vraiment bien passé et depuis 7-8 ans on décide de tout ensemble, je donne le mode d’emploi. On se connait si bien que je sais avant qu’elle parle ce qu’elle va dire, on devine les pensées de l’autre en un regard, c’est une relation bienveillante et c’est une des personnes les plus importantes de ma vie.
Qu’est-ce qui prime selon vous, dans le rapport avec l’artiste pour ce genre de métier ?
A.L : C’est toujours à propos du rapport humain. Il faut chercher à bien comprendre ce que l’artiste souhaite, c’est à ce moment qu’on peut l’emmener plus loin grâce à une complicité. Patti Smith m’a beaucoup inspiré et le but est d’alimenter son inspiration à elle. Elle parle d’un épisode dans son livre M Train : ça faisait 20 ans qu’elle avait ramassé ces cailloux au bagne de Cayenne et qu’elle avait dit à son mari qu’elle irait les poser sur la tombe de Jean Genet à Tanger. Je me suis débrouillé pour qu’elle puisse y aller, ça nous coûtait de l’argent mais l’idée c’était autre chose, on en a fait un petit film. Je sais que je l’alimente pour écrire dans ces cas-là. Il faut nourrir les rêves du rêveur. Il s’agit de construire un rapport à part, comme avec Iggy, 40 ans de boulot ensemble et c’est parce qu’on pousse les histoires et qu’on a trouvé un équilibre commercial qu’on avance.C’est une question d’adaptation et avec les artistes, je fais du sur-mesure, pas du prêt à porter. La singularité est nécessaire, ne pas avoir peur de les faire dévier de la voie initiale.
Ils ont donc une confiance totale en vous ?
A.L : Le temps aide la relation évidemment, mais c’est aussi parce qu’on apporte quelque chose. Avec Bowie, quand je faisais ses répétitions chez moi à Saint-Malo et qu’il fait son concert, je me revois lui dire « c’était bien mais c’était un peu long. » et c’est pour ça qu’il y a une relation, je ne l’encense pas, la relation doit être complémentaire. Cette année je me retrouve avec le retour à la scène de Phil Collins après 12 ans d’absence, et ça c’est possible grâce à cette valorisation de la singularité. Le copié-collé c’est le souci des maisons de disques.
Quelles sont les particularités de votre label (cf le rat des villes) ? :
A.L : Nous, on reste autonome, tout en réseau alternatif. J’ai construit une économie de pièces jaunes et on est propriétaire de tous nos droits. Chacun est différent, quand je travaille avec Giedré -on est à la fois maison de disque et merchandising- tout passe par les réseaux sociaux. J’ai appris à travailler avec elle dans une salle de 50 places, tout en ayant fait l’ouverture du stade de France avec les Stones, il y a toujours à apprendre. Démarrer les nouveaux artistes pour créer une histoire comme avec Anna Chédid ou Zaza Fournier. Ce que j’aime avec les eux c’est pouvoir retrouver une émotion primaire, les joies de se dire qu’on fait un beau métier.
Quelles seraient alors les qualités pour exercer ce métier ?
A.L : Une grande écoute, on travaille avec quelqu’un, pas pour quelqu’un. Il faut donc se comprendre, accomplir une mission ensemble, on est partenaire. La faculté d’écoute permet l’analyse et le recul pour avancer. Un des gros problèmes de ce métier est l’égocentrisme, il ne faut pas croire qu’on est artiste quand on travaille avec des artistes. Le « on » est plus important que le «je ». C’est aussi s’adapter à celui qu’on a en face, je ne vais pas travailler pareil avec une jeune artiste qu’avec Féfé ou même avec Patti et Iggy qui vont avoir 70 ans. Enfin, Iggy c’est le dernier des Mohicans !
Votre histoire n’est pas un peu celle d’une époque révolue ?
A.L : Complètement. Le rapport avec l’artiste était bien plus intime, même les plus « emblématiques ». Se retrouver avec des gens qui sont l’essence d’une culture ça appelle à beaucoup d’humilité mais c’est en même temps très émouvant rétrospectivement. Quand j’ai commencé ce métier, il était fait pour les derniers de la classe, maintenant c’est fait pour les premiers. Si j’avais eu mon bac j’aurais peut-être fait les choses différemment ? J’ai pas passé mon bac parce que j’avais un concert alors bon…
Alain Lahana, tourneur et manageur, est impliqué dans le fameux Festival Punk de Mont-de-Marsan et à la tête du label, de la production et du management de la société le Rat Des Villes. Il (a) fait tourner les plus grands mais s’attaque également au vent nouveau de l’industrie musicale. Se cachant souvent derrière vos écoutes, cette interview est l’occasion d’en savoir un peu plus sur l’homme qui marche aux côtés des géants.
Propos recueillis par Emma ferey
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