Shortparis fait clairement partie des groupes qu’on retiendra à la suite de cette édition 2019 des Transmusicales. Dans un concert survolté et magnétique, les Russes ont complètement renversé le Hall 9 le Vendredi Soir.
On les a rencontré un jour avant, passant souvent d’intervieweurs à interviewés, tant Shortparis a de la curiosité à revendre sur la manière dont ils sont perçus en France!
Après leur interview, on a croisé Jean Louis Brossard, qui nous a confié sa hantise de les voir mettre un trop gros bordel sur scène et dans le public. Il nous raconte les avoir vus au festival The Great Escape, à Brighton, dans un concert au cours duquel Nikolaï le chanteur a grimpé à un grand rideau rouge et s’y est suspendu au dessus du public. Le videur a essayé de l’en faire descendre, mais Nikolaï lui a planté ses yeux dans les siens, et le videur est reparti de la scène, sonné.
Derrière cette attitude un peu menaçante de prime abord, se cachent des artistes hors pairs et généreux, qui peuvent présenter de grands sourires, certes un peu flippants, quand on échange avec eux hors scène sur des sujets qui leurs sont chers.
Listen Up est allé essayer de percer l’apparent mur du froid Sibérien, de la « machine à danser glaciale, mais fascinante », comme le site des Transmusicales présente Shortparis.
De gauche à droite: Nikolaï Komyagin (chant), Danila Kholodkov (pads, percussion), Pavel Lesnikov (batterie, sampling), Alexander Ionin (guitare, basse, accordéon), Alexander Galyanov (guitare, synthés).
Listen Up: Shortparis a été créé en 2012. Pour les lecteurs français qui ne vous connaissent pas, comment vous êtes-vous rencontrés?
Danila: Le groupe a été créé par trois gars venus de Siberie, tous nés et ayant grandi à Novokuznetsk. Pour différentes raisons, ils ont déménagé en 2012 à Saint Petersbourg. Je les ai rencontré, et j’ai invité Alexander Galyanov à nous rejoindre, puis on a commencé à jouer tous les cinq.
Listen Up: Vous vous appelez ‘Shortparis’, et chantez parfois en français. Quelle est votre relation avec la France?
Danila: On aime à penser qu’il n’y a aucune connexion avec la France. que c’est simplement un mot, et qu’on peut mettre n’importe quel sens dedans.
Mais pour dire la vérité… (Rires) au moment où le groupe a été créé, Nikolaï écoutait beaucoup la scène musicale française. Et le groupe a aussi beaucoup été influencé par la société française et ses philosophes.
De plus, ces trois gars viennent de Sibérie. Si tu es né en Sibérie dans les années 90, ça voulait dire que tu mourrais là bas sans avoir eu aucune chance de voir le monde extérieur, et spécialement la culture occidentale. Partant de ça, Paris et la France sont devenus pour eux comme des symboles de cette culture occidentale. C’est de là qu’est venu un certain « Paris » idéalisé.
Et pour ajouter une certaine idée ironique à cela, on a ajouté le « Short ». Parce que quand tu viens d’une ville où il y a cinq usines et c’est tout, il n’y a pas de putain de Paris.
Shortparis: Qu’est-ce que vous, en tant que français, vous voyez dans le mot ‘Shortparis’?
Listen Up: En tant que français et vivant dans cette ville, on voit évidemment « Paris » avant toute autre chose. c’est vrai qu’on sent pas mal l’ironie présente dans le « Short », dont vous parlez. Mais aussi quelque chose de transformé, de retourné. Et de fluide, d’improvisé. De puissant dans sa transformation.
Listen Up: Vous dites sur Facebook « Shortparis est une mixture de tragédie grecque ancienne avec la sensualité de la puberté », qu’est-ce que ça veut dire?
Danila: Je crois qu’on devrait mettre cette information à jour! (Rires) En Russie on a un autre réseau social, donc Facebook c’est quelque chose de lointain pour nous. On a de plus en plus de feedbacks de personnes qui écrivent sur nous sur Instagram.
Et les journalistes ont commencé à utiliser des mots provenant de ces posts, comme « chamanique », « ritualisme », « dionycisme », et « tragédie grecque », ou tout ce qui va avec la performance théâtrale. On déteste ces mots, et particulièrement « Post Punk ».
Listen Up: On vous demande ça parce qu’on vous a vus à l’Indra, dans le Reeperbahn Festival, et on s’est pris une grande claque, particulièrement avec votre jeu de scène! S’il n’y a rien de théâtral, qu’est-ce qu’un concert pour vous?
C’est un mix d’improvisations et d’idées. Ce sur quoi on travaille le plus et on met le plus l’accent dans nos concerts, c’est l’attitude.
©Listen Up – Mickaël Burlot
Listen Up: En parlant de changements, il y en a beaucoup entre chacun de vos albums. Pouvez vous nous dire pourquoi?
Alexander: Le premier album a été fait sans moi. Ensuite on a commencé à experimenter pas mal autour de la musique industrielle. Dans chaque album, tu dois t’inventer depuis le début.
Danila: C’était quelque chose comme un mouvement naturel en avant. Ça incorpore des choses aussi bien internes, au groupe, propres à chacun, qu’externes, au regard de l’évolution de la société et la ville dans laquelle on vit.
Listen Up: Toujours à propos d’évolution, votre vidéo récente ‘Tak Zakalyalas Stal’ est encore plus forte que ‘Strashno’, qui était déjà particulièrement impactant. Quelles sont les différences entre les deux?
Danila: On va avoir besoin d’un peu de temps de discussion entre nous pour répondre à cette question, parce que c’est vraiment intéressant pour nous ces différences. (On les laisse discuter un peu, essayant de capter des mots de Russe sur lesquels rebondir, mais sans succès… Au bout de deux minutes, nous voyant un peu perdus, Alexander propose une première réponse.)
Alexander: De mon point de vue, je comparerais ces vidéos aux rêves que tu fais la nuit. ‘Strashno’ est comme un rêve très lent et anxieux. Un cauchemar duquel tu ne peux pas te réveiller. Donc, c’est un truc bien long et qui te laisse crevé. Ça parle plus d’anxiété.
Et ‘Tak Zakalyalas Stal’ est un cauchemar bien rapide. Quand tu veux juste faire tout ce que tu veux de violent dans ton subconscient. Et tu te réveilles en criant un « Woah! », avec ton coeur qui bat très vite. Cette vidéo parle plus de violence.
Danila: Pour Pavel, la vidéo ‘Strashno’ est plus un regard sur les problèmes sociaux, les idées. tu vois ces idées depuis un point de vue externe, distant. Pour ‘Tak Zakalyalas Stal’, le point de vue est depuis l’intérieur. C’est plus privé.
Listen Up: comment vous travaillez pour vos clips?
Danila: Tous les clips sont fait par nous même. Le directeur c’est Nikolaï, mais personne d’extérieur ne nous dit quoi faire, comment nous placer, et caetera…
Listen Up: Parlons maintenant d’un tout autre sujet. Bienvenue aux Transmusicales! qu’est-ce que ça vous fait de jouer ici et d’être en France?
Danila: C’est la première fois qu’on vient en France, et on vient juste d’arriver, donc on va essayer de vous répondre avec ce qu’on a déjà vu. Nikolaï voulait vraiment voir les rêves qu’il avait pendant son enfance en Sibérie. Et maintenant il pense que la France est un bon endroit pour ça. Il est absolument impatient de jouer aux Transmusicales et d’en voir un peu plus du pays!
Alexander: Mais peut-être que cet idéal culturel français est mort dans les sixties ou les seventies? (laughs)
Ça s’est peut être transformé en autre chose? Tu auras sûrement un autre point de vue sur tes rêves…
Shortparis: A propos des Transmusicales, vous pensez que ce festival est vivant?
Listen Up: Oui, notamment dans le sens où il y a des groupes que tu n’as jamais vu et des sons que tu n’as jamais entendus, en France en tous cas. Tu ne peux que faire des découvertes dans ce festival, et c’est ce qui fait sa vitalité!
Listen Up: En parlant de rêves, on fantasme d’une certaine manière sur la scène musicale de St Petersbourg. Est-elle vivante?
Alexander: Nikolaï blague souvent en disant que St Petersburg c’est un genre de festival Rock qui serait mort dans les sixties. Ou à la rigueur dans les eighties!
Pourriez vous nous donner des noms de groupes actuels de cette scène?
Alexander: S’il vous plaît, écoutez un groupe qui s’appelle Jars, même s’ils viennent de Moscou. Ils sont carrément chauds!
Listen Up: A l’Indra dans le Reeperbahn Festival, il y avait une centaine de personnes devant vous. Ce n’était pas aussi grand que le Hall 9, où vous allez jouer demain. Est-ce que la taille de la salle change quelque chose pour vous dans la manière d’improviser vos concerts sur scène?
Nikolaï: Ça ne compte pas vraiment, « we’re fuckin’ fucked up in any ways! »
Danila: Cette année on a déjà joué devant des publics très nombreux en jouant de manière tout aussi déglinguée, donc ça ne compte pas vraiment. Ça dépend vraiment de si la salle est remplie ou non. Quand c’est complet, tu peux sentir chaque personne. L’énergie circule mieux quand les gens sont près les uns des autres.
Comment vous ressentez l’énergie du public?
Alexander: Chaque personne dans le groupe la ressent d’une manière différente. Par exemple moi je la ressens avec un caisson de basse! (Rires)
Danila: C’est différent à chaque fois. A chaque fois, les choses qui ont marché au concert précédent ne marchent plus pour nous. On doit toujours trouver une nouvelle manière d’aller au contact des gens et de sentir leur énergie. C’est une vraie question, particulièrement pour Nikolaï!
(A Nikolaï:) Cette fois, tu ne vas pas pouvoir tirer les gens par les cheveux et mettre tes yeux intensément dans les leurs!
Nikolaï: Oh si, tu vas voir que je vais le faire. (Rires avec les canines découvertes)
Et à la fin du concert, il le fait!
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