Voyageurs infatigables des confins de la planète pré-pandémie, Nico Shin et Axel Moon, aka Ko Shin Moon, ramènent des musiques de tous horizons dans leurs valises, pour emporter leurs auditeurs dans des voyages kaléidoscopiques vers des territoires sonores transcendantaux.

Interview des récents vainqueurs du prix Société Ricard Live Music, au Pop Up du Label à l’occasion de la Release party de leur album « Leïla Nova » (sorti le 23 Janvier chez Akuphone). Un moment chaleureux, confinés dans les loges, avant qu’ils n’enfilent leurs santiags dorées et tenues indo cosmiques pour faire voltiger leurs instruments dans des vapeurs d’encens multicolores. Ambiance !

Comment est né Ko Shin Moon?

Axel : On se connaît déjà depuis un petit bout de temps. On faisait déjà de la musique avant. J’avais un groupe de rock stoner, et Nico avait un studio d’enregistrement à Samois sur Seine, où on allait pour bosser. Je suis ensuite parti à l’étranger pendant longtemps.

Quand je suis revenu, j’ai décidé de monter un projet avec l’idée de mélanger musiques « du monde » et musiques électroniques. C’est à ce moment qu’on s’est retrouvés avec Nico. Lui recommençait à monter un projet studio, avec des vieux synthés. On s’est calés tous les deux et puis on a commencé à enregistrer.

Nico : Le premier album c’est un album de studio. On y a habité pendant un mois et on a tout composé et tout enregistré dans la foulée.

Axel : Le studio est assez loin de Paris, ça permet de travailler tranquillement.

C’est le studio qu’on voit dans la vidéo que vous avez faite pour le Festival Société Ricard Live Music?

Axel : Oui! Tu peux le faire où tu veux, donc on a fait ça à la maison, c’était bien.

Vous avez voyagé où pour ramener autant d’influences et de bizarreries musicales?

Axel : J’ai vécu 4 ans en Inde. Principalement dans la région de Calcutta. C’était pour la musique, j’ai fait une faculté en ethnomusicologie à Nanterre, ce qui m’a amené à faire un échange avec la faculté de Santiniketan. J’ai bossé la musique là bas avec un prof, et ai décidé de rester plus longtemps. Après être rentré, mon intérêt pour la musique turc m’a poussé à aller en Turquie. Puis en Albanie et dans les Balkans.

Nico: Ensuite ensemble on est allés en Egypte, au Maroc, en Croatie, en Israël et Palestine.

Pour jouer?

Axel : Oui pour jouer à chaque fois. En Egypte, on a collaboré avec des musiciens.

Nico : C’était via l’Alliance Française, on a joué dans un lieu de résidence, l’ECCA Makan.

Axel : C’est quelque chose qu’on veut développer, la collaboration avec d’autres musiciens. C’était l’idée du projet dès le départ. On a pas pu le faire directement, donc on l’a développé à deux, pour jouer en live. Mais ça reste en tête et on a en projet une collaboration avec des chanteuses de différentes régions, principalement du pourtour méditerranéen, mais aussi du Japon, d’Inde…

Dans cette idée, il y a eu le projet I avec la BnF. Vous utilisez encore cette expérience pour la création?

Nico: Oui, la collaboration avec la BnF s’est faite pour célébrer les 20 ans de Gallica. On nous a demandé de faire une création, que l’on jouerait pour la soirée d’anniversaire. C’était notre première création sur commande, et de ce genre là. Pour l’occasion, ils nous ont donné accès à la bibliothèque de vinyles de Gallica, qui est aussi répertoriée sur la base numérique.

C’étaient principalement des 78 tours, pour la simple raison qu’on avait principalement accès à ce qui était libre de droit, donc antérieur à 1950 environ. Des 78 tours très peu utilisés dans le sampling. Avec notre approche, on a essayé de faire un espèce de melting entre la reproduction avec nos instruments de ce qu’on écoutait, par exemple en accordant nos synthés sur les tonalités des samples qu’on écoutait. On a aboutit un espèce de mix entre les 78 tours et l’électro, dans une confrontation temporelle qui devient super intéressante.

On sent à partir de ce moment là que vous utilisez plus de samples dans vos compositions.

Axel : On l’avait déjà fait sur le premier album. Mais dans cet album ’78 fragments’, il y avait des morceaux où on jouait et d’autres centrés sur le sample.

Vous avez gardé cette méthode pour le nouvel album?

Nico : Pas vraiment, mais par contre ça nous a donné un super outil, qui est vraiment à aller voir. Autant leurs archives graphiques que numériques et que littéraires sont incroyables. Et n’importe qui peut y accéder! On a été chanceux parce qu’on nous avait donné les tuyaux pour télécharger après écoute, pour les tester sur nos morceaux.

Axel : Mais sur le nouvel album, après l’expérience du live, suite au premier album qui était très basé sur un travail de studio, et le deuxième sur des samples, on a pu développer nos techniques de jeu et des approches plus instrumentalistes. L’album contient donc plus des morceaux qui peuvent être joués en live. Alors que 78 fragments par exemple c’est injouable en live.

On sent que ça tape plus effectivement! C’est venu d’où le côté plus électro et plus dansant?

Axel : C’est aussi lié aux gens qui nous ont programmé, notamment des collectifs d’électro.

Nico : On avait déjà cette espèce de place entre le début de la nuit et la vraie nuit. On se faisait programmer entre autres pour ça. On commençait avec un côté très folk, très instrumental et on finissait en électro. Ca collait bien pour faire un pont dans une soirée ou un festival.

On sent un retour au premier album, plus dansant ou entêtants, quand le deuxième était plus calme. 

Axel : Sur ce premier album, on était plus sur un travail de studio, et on s’est rendus compte que les morceaux étaient injouables par des DJ. Comme on y mélange beaucoup de choses entre passages hyper softs et passages qui tabassent, très patchworks, c’était très difficile pour les DJ de trouver des passages continus à caler. Après les retours de plusieurs d’entre eux de notre entourage, on s’est dit que ce serait intéressant que certains morceaux soient plus aptes à être joués par d’autres ou au moins remixés. Il y en a deux-trois, dont ‘Leïla Nova’, pour lesquels ça peut être le cas, et pourquoi pas balancés pour du dancefloor.

C’est déjà prévu? Vu les copains qui viennent ce soir..! (Guido Minsky d’Acid Arab, Cheb Gero et Marwan Hawash, ndlr.)

Axel : On dialogue pour essayer d’avoir des remixes!

Nico : On avait fait une track avec Simple Symmetry sur une de leurs compilations. C’était l’ouverture pour nous sur la collab’.

Axel : Ce sont aussi les gars de Hard Fist qui nous ont beaucoup tourné vers l’électro. On s’est rendus compte qu’on avait une ouverture vers ce milieu là, qui est aussi celui du clubbing.

Vous parliez de lieux et d’endroits qui vous ont programmé. Vous l’avez été aux Transmusicales – est-ce qu’il y a un avant et après Trans’ pour vous?

Axel : Ca a eu pas mal de répercussions sur les possibilités de programmation et sur toute la professionnalisation de Ko Shin Moon. Aux Transmusicales, on a pas joué dans les Halls, mais finalement, dans la petite salle de l’UBU, où pas mal de programmateurs étaient présents, et ça nous a boosté sur l’année 2019.

Nico : Et sur plein de plans différents. Jouer aux Transmusicales c’est une espèce de concrétisation. On s’est rendus compte qu’on pouvait faire quelque chose, et avoir une voix dans ce qu’on fait! C’est une belle reconnaissance pour nous. Après on ne l’a pas vécu comme un gros « boom », mais on a pris une espèce de maturité là dedans. D’ailleurs, on fait des gros bisous à Jean Louis Brossard (Double coup de poing sur le coeur, check ça Jean Louis).

La musique de Ko Shin Moon était notamment mise en avant sur le teaser des Transmusicales 2018.

Ça s’est passé comment la rencontre avec Jean Louis Brossard (programmateur des Transmusicales, ndlr.)?

Axel : On s’est rencontrés avant les Transmusicales, sur le Rituel 111, un petit festival rennais aussi. Organisé avec des gars qui bossaient avec Jean Louis Brossard. Qui reprennent le même esprit de trouver des groupes en développement qui ont une approche plutôt underground ou lo-fi et qui vont faire quelque chose de fort sur scène.

Avec moins de budget et d’aura que les Transmusicales, mais avec le même esprit de dénicheurs. Jean Louis est venu nous voir à cette occasion, parce qu’il avait déjà écouté notre vinyle avant, le premier album. Et on a été programmés un an après.

Nico : Mais attends, c’est pas fini! On est allés à son club. On a fait une after ensemble à l’UBU, ça a fini en soirée de folie, et ça a bien matché humainement. C’est en gros ça le point de départ, plus qu’un simple coup de coeur musical de sa part. On s’est vraiment rencontrés ce soir là.

En parlant de rencontres, comment ça s’est passé celle avec Akuphone?

Axel : C’est un ami à moi avec qui on était en ethnomusicologie, qui a rencontré Fabrice, le fondateur du label, au Cambodge. Ils ont bien matché parce que mon pote faisait son terrain de recherche en Thaïlande et il visitait le Cambodge, et Fabrice y était là à ce moment là pour un projet de réédition de vinyles de musique Khmère. Mon pote m’a parlé du label et des rééditions qu’avait faites Fabrice et du fait qu’il cherchait des groupes actuels dans la même ligne éditoriale et esthétique que celle d’Akuphone.

Je lui ai envoyé les tous premiers trucs que j’avais faits, auxquels il a bien accroché. Puis Nico est arrivé, et on a pas mal travaillé l’album avec Fabrice à ce moment là parce qu’ils nous faisait pas mal de retours, nous a fait écouter énormément de choses aussi. Des trucs qu’on ne connaissait pas, de la musique du monde à de la coldwave darko-slave!

Surpris/heureux d’avoir gagné le prix Société Ricard Live Music? Comment vous avez vécu le concert a la gaité lyrique?

Axel : Nous sommes super heureux évidemment, cela permet une belle exposition et cela nous donne les moyens de développer notre vision. On ne s’y attendait vraiment pas du tout :  on avait l’impression de ne pas vraiment cadrer, on vient d’un environnement musical plutôt niche, on ne travaille pas particulièrement sur notre image, et on travaille en auto production.

On a sorti 3 albums en 2 ans et demi qui ont été peu relayés par la presse musicale. Ce prix est une chance pour faire découvrir notre musique et aussi pour amener un public plus large à découvrir toutes ces musiques et musiciens qui nous ont influencé et qu’on admire!

Le concert a la Gaîté Lyrique était une belle expérience, c’est une belle salle. L’accueil technique est fantastique, il y avait environ 10 techniciens sur scène qui prenaient soin de nous. On a été super à l’aise grâce à ça.

Est ce que vous baignez dans un contexte musical particulier au quotidien qui pourrait influencer votre musique ?

Axel : On a un studio à Samois sur Seine parce que la maison familiale de Nico est la bas et il y avait un peu de place pour faire le studio. Samois est principalement connu pour le Jazz Manouche : la tombe de Django Reinhardt s’y trouve, et le festival qui porte son nom y est organisé tous les ans.

Nos voisins sont des guitaristes manouches plutôt connus dans le milieu. On s’entend bien avec eux, ils viennent régulièrement boire des coups au studio.

Vous vivez de votre musique ou avez des jobs supplémentaires ?

Axel : Pour ma part je suis intermittent depuis peu. Nico travaillait dans la construction de manège, jusqu’à récemment.

Pourquoi les bottes dorées en live?

Axel : Déjà parce qu’on trouve ça beau. Et le doré est très évocateur, il est présent dans les moments de fêtes dans plein de régions du monde, pour les mariages, les fêtes religieuses…

Y a t-il des groupes que vous voudriez nous faire découvrir?

Axel : Il y a tellement de musiques qui ne sont pas mis en lumière en France pour différentes raisons, notamment territoriales, culturelles… la liste est longue. Chaque langue, chaque culture a des icônes musicales. Cela représente une variété incroyable de musique et de musiciens exceptionnels qui ne sont pas connus en France.

On peut évoquer des styles qui nous ont marqués: le Raï algérien avec des musiciens comme Cheb Zahouani, le producteur Rachid Baba Ahmed, Cheb Hasni, Cheba Fadela, le Saf de Noujoum Saf, la chanteuse de Chaoui Cheba Yamina, la chanteuse Chleuh Aicha Tachinwit, les Turcs Moğollar, Baris Manço, Erkin Koray, le compositeur Tamil Ilayaraajaa, le buzukiste Grec Leonardos Bournelis, le joueur de synthétiseur Albanais Amza Tairov, le saxophoniste Macédonien Ferus Mustafov, le roi du Wassoulou Samba Diaollo, le musicien explorateur japonais Haruomi Hosono

Et dans les musiciens actuels le Mahragan d’Islam Chipsy, le tunisien Ammar 808, le dub Aïnu d’Oki Dub Aïnu Band

Il y a tellement de musiciens qui méritent d’être écoutés. La liste est longue.!

 

Merci !