A l’occasion de son concert au Supersonic hors les murs sur la terrasse du Trabendo, nous avons échangé quelques mots avec David Shaw pour en apprendre un peu plus sur son parcours, l’homme derrière la légende, l’histoire derrière le mythe. Au sommaire, les années 90, l’acid, le Mexique, Dombrance, son label Her Majesty’s ship et les interventions ciselées de Flavien, un invité mystère.
Listen Up: Pour démarrer cette entretien, est ce que tu peux nous faire une petite genèse : la vie et l’œuvre de David Shaw par David Shaw ?
David Shaw: Il est né le 8 avril 1977 à Manchester, plus précisément dans la banlieue de Manchester à Didsbury, j’ai vécu à Blackpool et à Preston un petit peu avec oncle et tante.
J’ai perdu mon père très tôt à 8 ans et ma mère faisait beaucoup de mannequinat entre l’Angleterre et la France. Ensuite elle est partie en France, elle avait un super job, et le temps de se stabiliser, et de s’installer en France, je suis resté un peu chez mon oncle et ma tante avant d’arriver vers mes 15 ans. Et à partir de là je suis resté en France, à Paris plus précisément. J’ai vécu un peu à Berlin vite fait également.
Listen Up: Tu t’es mis à la musique en France? En Angleterre ?
David Shaw : J’ai toujours été dans la musique, pas virtuose du tout, mais j’ai toujours été là-dedans. Grâce aux cousins, qui eux sortaient beaucoup et qui avait une grosse culture. Ils m’ont formé un petit peu, ils avaient des disques parce qu’ils étaient plus âgés, ils faisaient des raves et compagnie. Et il y a tout ce que moi j’ai découvert par moi-même, empirisme oblige.
Listen Up: Quels groupes ils t’ont fait découvrir? Par exemple, est le groupe qui t’a mis une claque ?
David Shaw : Il y a une histoire qui m’a marquée. On rentrait de Blackpool qui étaient un club Jenks (NDLR: d’où le nom de l’album de DBFC), parce que c’était un des clubs où t’écoutais du Ministry, My Bloody Valentine, tous ces trucs-là. C’était pas un dj techno ou club, c’était tout ce qui est musique indie, ou peu importe comment on veut l’appeler. Donc on rentrait, pluie battante, le cousin qui conduit. Je me rappelle d’avoir le front collé à la vitre. A l’époque c’était des cassettes dans les voitures, du coup l’autre côté de la cassette, c’était The orb « little fluffy clouds », et après c’était « Ambient Work » d’Aphex Twin.
Après il y a eu plein d’autre choses, j’ai écouté Orbital et tous ces trucs-là. Ils écoutaient (les cousins) énormément de choses comme Wire, Joy Division évidemment, mais pour moi Joy c’est même pas un truc sur lequel je m’attarde, c’est tellement évident parmi tout ce qu’on peut rencontrer dans Manchester.
C’est toute cette scène-là, qui était de mon époque. Ces groupes que j’ai vu évoluer au moment où moi je grandissais, d’ailleurs pas forcément de ma génération parce qu’ils sont un peu plus âgés. Je les ai vu émerger plutôt, j’ai grandi avec ça. C’était typiquement ce qu’on appelait les « baggy », cette musique d’Angleterre des années 90.
Comment tu te lances dans la musique, directement avec HMS en 2012?
Il y a eu plusieurs trucs entre temps. Il y a eu Siskid dont j’étais membre à partir de 2002 – 2003. Puis je rencontre Blackstrobe, Arnaud Rebotini et Ivan Smagghe. Je suis musicien pour eux pendant pas mal de temps, puis je fais l’album avec eux, la tournée et j’arrête vers 2008.
Entre temps je monte un label où ça ne s’est pas très bien passé et je continue Siskid. Plus tard je rencontre Charlotte Decroix, qui faisait la programmation pour les soirées Panik à l’Elysée Montmartre et je jouais pas mal pour Panik à une époque aussi.
Je lui fais écouter les morceaux que j’avais commencé à bosser et qui sont devenus les morceaux pour So it goes, le premier album de David Shaw and the Beat. En fait on a monté HMS pour sortir le premier titre qui était Infected, qui est une reprise de Matt Johnson et suite à ça j’ai enchainé les titres et par la suite, on s’est dit que ça pouvait être cool de sortir d’autres artistes.
HMS a été officiellement monté en 2010, après ça a vraiment commencé plus tard, Infected est sorti en 2012 et il annonçait So it Goes. J’ai fait l’album en 2011, en deux mois, de Juillet à Août. Charlotte, m’a emmené presque de force dans sa maison de campagne, à l’époque j’étais en pleine dépression, elle m’a sorti du caniveau. Je me suis enfermé dans cette baraque dans le Berry, je suis arrivé le 1er juillet et le 31 aout j’ai rendu l’album. On a commencé à mixer avec Bruno, qui était un génie du mix, et que je salue. Un mec incroyable.
A partir de là, sortie en 2012, j’ai rencontré Bertrand (Dombrance) qui m’a accompagné sur scène pendant 3 ans pour David Shaw and the Beat live.
Ca a été une grosse grosse rencontre, puisqu’on a fait DBFC derrière.
Vous vous êtes rencontrés comment d’ailleurs?
Par l’intermédiaire de mon booker Antonin Despins qui bossait chez Furax, je devais faire les Bars en Trans et le set ne tenait pas encore la route, ça ne marchait pas pour moi. Je commence à repartir en dépression, c’est quelque chose qui m’a beaucoup suivi la dépression (rire).
Et du coup un soir j’étais avec Antonin, Bertrand était là et excité comme un dingue « moi je veux, je veux je veux, j’ai adoré l’album ». Le lendemain, il est venu, on a commencé les répetitions, et c’était comme si on avait fait l’album ensemble et qu’on se connaissait depuis 15 ans. C’était impressionnant.On a monté DBFC dans la foulée, Bertrand avait déjà quelques démos pour DBFC. Il m’a dit « t’es chaud? », j’ai dit » à fond ». A partir de là, on a fait tout le reste ensemble. Et l’histoire vous connaissez la suite : tournées, tournées, tournée. Plus fat on va dire parce que c’était des plus grosses scènes. Puis on a fait une pause.
Bertrand fait son projet en tant que Dombrance qu’il avait déjà à l’époque, il avait un super titre qui s’appelait The Witch (Kitsuné). Moi j’ai repris David Shaw and the Beat. Là on se parle pour décider sur le moment où on va reprendre, mais on ne se met pas la pression, ça ne sert à rien de se mettre la pression avec ce qui se passe aujourd’hui. Demain faire un album de DBFC ça n’a aucun sens de toute façon, parce qu’on ne pourra pas le défendre sur scène. Lui comme moi on n’a pas envie de sortir un album et être là comme deux gamins « arrgh on peut pas le jouer ». Mais en tout cas l’envie elle est là c’est sûr.
On te propose de te ramener un petit peu en arrière en 2013, anecdote avec notre première rencnontre avec ton label. Nous avons découvert HMS par l’intermédiaire de La Mverte chez Moune. On avait un peu bavardé avec La Mverte qui nous a parlé de HMS. Ca nous amène à suivre HMS, à s’intéresser à ce que vous faites et ça nous amène surtout à la fête de la musique 2014 au Wanderlust. Le plateau était dingue: Pony Hoax, Machi, Superpoze, David Shaw and the beat, Yan Wagner. C’est la première rencontre avec David Shaw and the Beat. A ce moment là- vous en êtes où chez HMS ? Quel est l’état d’esprit à l’époque ?
C’était plutôt une bonne année, il y avait DBFC qui signe en licence chez Pias, donc c’est un truc qui a fait du bien au label. On a signé Yan Wagner très peu de temps après parce qu’il a fait son super album aussi. L’esprit et l’énergie étaient super.
Au-delà de ça, il faut savoir que HMS on le fait avec Charlotte Decroix, qui est mon associée, une personne incroyable et ma meilleure amie jusqu’à la mort. C’est surtout elle qui gère beaucoup le label aujourd’hui.
Moi j’ai passé une période un peu difficile personnelle, j’ai pu moins m’en occuper, c’est la vie. A partir de 2016, j’ai commencé à être un peu moins présent. Charlotte a également commencé à avoir un nouveau boulot, enfin voilà, le label existe toujours, on sort des artistes quand on peut. Maintenant on ne fait plus de vrais contrats d’artistes par exemple parce qu’en fait on ne peut plus vraiment s’en occuper et qu’on est dans une économie, c’est un fait, qui est difficile, on fait ce qu’on peut.
Sinon, vous rencontrez Flavien ce soir, qui a un super projet qui s’appelle Order 89. Il a aussi un autre projet avec sa chérie Julie, c’est top! L’idée c’est que Flavien soit une des prochaines sorties du label par exemple. Pour l’instant il n’y en a pas d’autres.
Là on sort un Mexicain qui s’appelle Mufti, qui est une maxi défonce, en théorie il y a Flavien qui suivrait.
Flavien: ouais quand j’aurais réussi à faire un album… (rire)
Une petite parenthèse sur votre lien avec le Mexique justement, nous savons que vous avez tous fait des tournées au Mexique : entre HMS et le Mexique, il y a un truc?
On a une grosse liaison avec le Mexique. Pour saluer les copains mexicains Mijo, Bufi, tous ces gars-là, toute la branche de Guadalajara, des mecs incroyables.
Et comment est née cette liaison?
Parce qu’on se soutient par messages interposés genre « je kiffe ce que tu fais, ça te dit de venir? » « – mais grave », -« ben chopez vos billets, on vous organise 10 dates derrière ». Donc on y a été et à partir de là, gros full love.
C’est vraiment une énergie particulière qu’ils ont. Il ne s’agit pas de dire « c’est mieux ailleurs », mais il y a une rage, une rage positive quoi. Je le dis vraiment c’est hallucinant, quand ils font la fête c’est le far-west.
T’as Rodion et Justine, Zombies in Miami. Ce qui est cool et ce que j’adore c’est que ce ne sont pas des superstars mais ce sont des gens qui ont une constance et pour moi, ça a toujours été le plus important. Parce que du coup t’es pas dans un truc de mode etc. C’est un son qui est là, tu kiffes, tu kiffes pas, quoi qu’il arrive ça te fait danser.
En quelle année que vous avez commencé à explorer le Mexique?
Peu de temps après que j’ai sorti le premier album en 2012. Puis 2014, on a sorti l’album avec DBFC. Avec Bertrand on a fait le festival Trópico à Acapulco, qui est LE gros festival, un festival très connu et c’est monstrueux. C’est un des meilleurs festivals que j’ai fait de ma vie d’ailleurs. Et après jusqu’en 2018 on y a été non-stop.
La dernière fois qu’on y a été c’était le 1er janvier 2019 à Tulum jouer en live, avec Superpitcher, Zombies in Miami. On a fait Departamento, Guadalajara, Kin Kin.
D’ailleurs vous avez fait joué Mijo pour les HMS parties ?
Oui, on l’avait inviter à jouer au Badaboum pour la sortie de son disque, sur lequel il y avait Para Pura et tout ces trucs là qui défoncent. Et d’ailleurs c’était pour les 4 ans du label: il y avait Mijo, DBFC, La Mverte et SR Krebs.
Si on poursuit sur 2015, c’est l’année où vous avez sorti SR Krebs, première artiste féminine du label ?
David Shaw: C’est sorti plus tôt en fait, très peu de temps après So it Goes.
Flavien: mais ça a vraiment explosé en 2015, 2016 en effet.
David Shaw: Elle bossait avec les deux gars de Tristesse Contemporaine, et il y avait ce morceau qui s’appelait Criminal qu’on avait remixé avec Jenifer Cardini d’ailleurs
Flavien : JENIFER ! JENIFER!
David Shaw: C’est un des meilleurs remixes qu’on a fait avec Jenifer d’ailleurs, que j’adore encore aujourd’hui.
Le morceau Criminal, la première fois que je l’ai entendu j’ai pris une claque. J’avais l’impression d’écouter du Johnny Cash et c’était Sarah qui chantait. Je connaissais pas du tout et c’est Charlotte qui m’a dit c’est une bombe. Je lui ai demandé si c’était signé, elle m’a dit non, alors on s’est dit on y va !
C’est la première fois que vous sortez de la pure électronique pour aller vers quelque chose de plus vocal?
Ouais. C’est une femme de pop. C’est de la pop, mais de qualité. Tout marchait parce que je trouvais qu’il y avait un angle: elle chante, avec ses prods.
On a signé deux disques, toujours avec la même équipe qui était Léo et Mike à la prod. Le deuxième c’était Grey Skies, qui était beaucoup plus personnel, intime voilà. Toujours de la très belle pop comme je l’aime.
Et vous avez une ligne éditoriale chez HMS?
David Shaw: Non non ça peut être très divers, ça peut être électronique avec un mec qui a que des machines, ça peut être un groupe.
Flavien: alors je me permets, pour la blague. J’ai deux groupes : Order 89 et Bagarre Perdue. On a essayé de rentrer chez HMS en leur envoyant des morceaux, ça n’a jamais marché. Et un soir , bourré pendant le confinement, avec ma meuf, on fait un morceau que j’envoie à David et là il me dit je te signe un album.
David Shaw: Je lui dis c’est signé ça? Il me fait non je voulais juste que t’écoutes. Si c’est pas signé je le veux.
Flavien: voilà, pour vous dire, la ligne éditoriale ils n’en ont pas!
Et donc comment Charlotte et toi vous choisissez vos artistes?
Aujourd’hui, si y a des artistes qui rentrent en contact avec nous et que tout est déjà plus ou moins en place, et qu’on estime qu’on peut travailler le projet économiquement , et qu’on peut faire bénéficier du réseau distribution Pias, à ce moment on fait.
Aujourd’hui on va pas forcément démarcher des artistes, faire un contrat d’artistes dans un schéma classique, ce n’est pas qu’on ne veut pas, c’est qu’on ne peut plus le faire.
Pour l’exemple, Flavien, Mufti, parce que ce sont des amis et c’est important de le souligner, on privilégie aussi un peu ça. Surtout quand on avait pas eu l’opportunité de travailler ensemble avant. Là on peut le faire et c’est super.
On avance dans l’histoire, 2017, on en est où chez HMS?
2017 c’est super c’est la continuité, Premier album de DBFC « Jenks« . Les dates s’enchainent, notamment Rock en Seine, d’ailleurs on a fait deux Rock en Seine.
Bonne expérience Rock en Seine?
Ouais, c’était le deuxième Rock en Seine, la deuxième grande scène, on a monté d’un niveau du coup. On a fait le Mofo aussi ! On est repartis au Mexique et ensuite Bertrand et moi on a fait une pause. En 2018, on a joué à Rock in the Barn aussi.
Et avant la mise en pause de DBFC , tu avais travaillé sur tes projets perso à côté?
J’avais un peu commencé, mais c’est aussi le moment où j’ai fait mon move à Bruxelles, donc j’étais pas mal ralenti dans la dynamique. Je devais aussi bouger parce que je vivais une histoire d’amour qui ne s’est pas très bien finie malheureusement.
Et j’ai commencé à travailler sur le nouvel album de David Shaw and the Beat et le set que vous avez vu ce soir. Ma pote Harmony m’a prêté main forte sur le live. On a fait Boule Noire le 12 mars 2020, Boule noire complète pour la sortie du disque qui est sorti le 14 février « Love songs with a kick vol 1 ». Et il y aura un volume 2 sur lequel je travaille actuellement.
Love song with a kick vol 1 , c’est un disque qui sent le soleil, les paysages de la Californie. On t’a connu musicien avec étiquette électronique, dj club, et on a l’impression que plus tu évolues plus t’orientes vers plus d’instrumental et du live.
En fait, j’aime bien dire que je suis un « bricoleur », le truc c’est que j’ai toujours autant été dans la techno que dans le punk, la pop etc. Selon mon humeur, selon les moments de ma vie, je vais plus dans une direction où l’autre. Je zoome sur ce qui me plait.
Il y a toujours un fil rouge, peut-être qu’à un moment je vais être plus sur telle ou telle couleur ou tonalité. Tu prends sur le premier disque « The jackal », le côté un peu Suicide, le côté Arthur Russell etc, tu vois aujourd’hui, tu fais la passerelle, c’est pas si éloigné que ça. Ce n’est pas du tout révolutionnaire, j’ai jamais prétendu inventer le truc. Mes influences sont plein de choses, donc il y aura toujours des synthés, il y aura toujours de la guitare, des boites à rythmes. Mon kiff c’est ça.
Pour finir, 2020, année un peu flinguée, MAIS, si tu devais organiser une fête, la grosse teuf que t’aimerais faire mais que tu ne peux pas faire. On l’imagine ensemble ?
David Shaw: J’inviterais les potes mexicains, Bufi, Theus Mago, avec Mijo et Mufti. Rodion avec Justine. David Shaw and the beat j’aimerais bien, DBFC ça serait cool, Dombrance, Naomi Klaus, qui est une artiste à Bruxelle qui défonce, qui faisait Laura Palmer. Après c’est un peu comme au resto, il y a plein de trucs que j’adore, mais déjà là on est pas mal. Ah si, La Mverte pour faire son live.
On boirait du mezcal, de la tequila et des moscow mule!
Flavien: S’il y a Yan Wagner on boira du gin aussi ! (rire)
David Shaw: Oui Yan Wagner ça serait bien qu’il joue aussi (rire)
Interview de Stefan Jean Eude et Mickaël Burlot
Ecrire un commentaire