Le quintet originaire de Brighton sort son premier album très attendu, et il ne déçoit pas. A travers une véritable aventure sonore, « Bright Green Field » est l’un des albums les plus prometteurs de l’année.

Après un EP très remarqué en 2019, « Town Centre » sur le label Speedy Wunderground du producteur Dan Carey, Squid a signé sur le légendaire label de musique électronique Warp Records pour sortir ce premier album le 7 mai 2021. Toujours avec Dan Carey à la production, le groupe britannique devait marquer les esprits pour ce premier disque, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils n’y sont pas allés à moitié. Surtout dans le cadre d’une nouvelle vague qu’on qualifie de post-punk (à défaut d’un autre terme qui serait plus adapté), avec des groupes comme Black Country, New Road, Black Midi, Shame, Goat Girl (et d’autres !), Squid devait se démarquer. Avec presque 1h de durée, des titres allant jusqu’à 10 minutes environ, et une grande variété de sons, c’est une vraie odyssée qui vous attend à l’écoute de ce disque.

Le disque commence avec une courte introduction avant qu’un coup sec de batterie n’entame « GSK », en référence à GlaxoSmithKline le géant pharmaceutique, une chanson au rythme assez lent qui introduit en tout cas l’esthétique et les thématiques dystopiques développées sur l’album. Le disque est en effet inspiré par la science-fiction et les thématiques d’un monde aseptisé, artificiel et urbanisé. On retrouve sur ce titre le groove caractéristique de Squid et les sons à la fois organiques d’un groupe de rock mêlés à des manipulations sonores plus artificielles qui donnent un rendu assez original (et qui justifient l’appartenance à un label comme Warp !).

On arrive ensuite à « Narrator », l’une des pièces maîtresses du disque, qui évolue sur plusieurs phases toutes plus rapides, intenses, fortes les unes que les autres. Avec une batterie dynamique, des guitares mélodiques et pointues, la marque caractéristique du chant du batteur Ollie Judge, le morceau se transforme ensuite en une explosion de sons saturés que le groupe joue avec férocité et précision. Mais le vrai moment fort de la chanson est sans conteste la participation de Martha Skye Murphy, qui après avoir accompagné Judge sur la partie transitoire du titre, part dans une phase de cris extrêmement intenses, aboutissant à l’un des moments musicaux les plus marquant de l’année. Difficile de ne pas avoir des frissons, même après beaucoup d’écoutes.

« Boy Racers » commence comme un titre groovy et très habituel pour le groupe, mais c’était sans compter sur la capacité de Squid à nous surprendre et à déjouer les attentes, puisque la deuxième partie du titre efface le post-punk furieux du groupe pour devenir un moment de drone ambient à base de synthés sur-vitaminés. On dirait presque du Sunn o))) version Warp Records !

« Paddling » revient ensuite aux fondamentaux, avec une instrumentation complexe mais néanmoins rythmiquement attractive, le tout avec des vocaux excentriques et très expressifs. La recette de montée en puissance linéaire de Squid est assez connue mais fonctionne à chaque fois, rappelant un peu le post-rock populaire dans la scène indépendante du début des années 2000.

« Documentary Filmmaker » est un petit moment d’accalmie (enfin, on le croit au début) avec le retour des cuivres fortement manipulés électroniquement qui apparaissent à plusieurs endroits du disque. Le refrain est pourtant l’un des plus électriques du disque, avec Judge qui crie aussi puissamment qu’il le peut.

« 2010 » est également un titre relativement doux, avec des mélodies de guitares et une rythmique qui rappellent très fortement Radiohead pendant la période « In Rainbows », une influence que l’on ressent à de nombreux endroits de l’album (on entend presque Thom Yorke arriver sur l’instrumentale avant de réaliser qu’il s’agit bien de Squid). Et le groupe nous rappelle qui il est avec à nouveau un changement d’ambiance drastique avec une des déflagrations sonores les plus intenses au milieu du disque. Même sur les titres les plus calmes, Squid a encore du mal à cacher son énergie. Après un court interlude avec « the Flyover » et une nouvelle séance de cuivres déformés, « Peel Street » commence fort avec des sons dansants et l’un des meilleurs rythmes de l’album, avant d’évoluer vers un final rappelant à nouveau très fortement « In Rainbows ».

« Global Groove » est une des chansons les plus originales et intéressantes tant musicalement que d’un point de vue des paroles, puisque cette chanson lente et lourde, avec un ton solennel et jazzy, parle en fait de la sensation que le monde entier est devenu un « groove » auquel on ne peut plus échapper et auquel tout le monde est rattaché, vivant ainsi à un rythme dicté à grande échelle.

Enfin, « Pamphlets » est un des titres phares de Squid en concert depuis des années, et a été stratégiquement placé à la fin du disque pour obtenir un final intense et fort pour conclure ce disque en beauté. Le titre se veut une satire des inquiétudes et passions de la petite bourgeoisie de droite, et les paroles sont à la fois drôles et incisives.

On ne peut que vous conseiller l’écoute « Bright Green Field » qui parvient à ne pas décevoir malgré la « hype » autour de Squid et plus généralement du courant musical émergent que le groupe représente. Cet album conceptuel a tant de points forts que les quelques points faibles sont finalement négligeables. Il s’agit à n’en pas douter d’un disque très impressionnant, surtout pour un premier album, et on ne peut que rester dans l’attente de voir et d’entendre ce que Squid aura à nous proposer à l’avenir.