Le label londonien The state51 Conspiracy a sortie en discrétion relative – surtout pour nos oreilles françaises – deux des disques des plus passionnants de ce début 2024, ceux de Blue Bendy et Bingo Fury. Chez Listen Up, on ne peut pas se permettre de laisser inaperçues ces deux petites pépites. Attention, talents en perspective !

Blue Bendy – So Medieval

Blue Bendy: So Medieval Album Review | Pitchfork

Même si il y a quelque chose d’agaçant à observer la facilité avec laquelle nos ami.es londien.es nous sortent depuis quelques années des disques toujours plus audacieux et fascinants années après années, on ne peut bouder notre plaisir à tomber sur un énième groupe prometteur. Et quel groupe ! Blue Bendy, formation en sextuor, vient de sortir son premier album « So Medieval » sur state51 le 12 avril.

Mené.es par Arthur Nolan, qui avoue se reconnaitre dans Kendall Roy (Succession – HBO), le groupe sort un premier disque sinueux, qui ne tient pas en place, et qui pourtant fait mouche sur chaque titre pour trouver une mélodie, une texture et une structure originales. À la fois nonchalant et épique, ce disque autobiographique et plein d’autodérision, revient narrativement sur une rupture récente de Nolan – dont il reconnait volontiers qu’il n’y a rien de plus cliché. À la manière d’une romance chevaleresque, le narrateur reprend les tropes médiévaux et mélodramatiques tout en y ajoutant une bonne dose d’ironie et de réflexivité sur le ridicule masculin.

Malgré cela, c’est bien le talent musical du groupe qui brille, entre réminiscences de la fragilité du rock indé des années 2000 (on pense à des groupes comme Bright Eyes, The Postal Service parfois) mais en y ajoutant de la dissonance très 2024 caractéristiques de leurs contemporain.es (est-ce qu’un groupe comme celui-ci aurait vu le jour sans Black Country, New Road ?). Pas besoin d’aller beaucoup plus loin que le premier titre éponyme et ses premières paroles déclamées avec beaucoup de charisme et en même temps un ton humoristique qui ne quittera pas le disque :

“No sex
No mess
No second chance
The ceremonial setting fire to my underpants
If every lust is just a devil’s dance
The floor is mine in religious trance”

Après des titres plus brillants les uns que les autres (l’intensité de « Mr Bubblegum », les débuts jazzy de « Darp »), le groupe sort un titre magnifique avec « Darp 2 / Exorcism » où Nolan offre l’une de ses meilleures performances vocales. On a droit à un final explosif où la distorsion des guitares, la voix craquante et Nolan se confondent dans un écho saisissant. Sur « I’m Sorry I Left Him to Bleed », le groupe propose un titre d’une grande finesse, entrecoupé d’une batterie discrète, d’accords au piano, des sifflements et lalalas mélodiques, ainsi que des paroles saisissantes :

« A shit load of blood spilled by my hand
I’m just like every other man
Something in me is bad
Flicking through faith magazines
Living in Daddy’s TV
It’s sacred, don’t you see?”

Si vous n’êtes toujours pas convaincu.e, peut-être que les 6 minutes de l’épique « Cloudy » sauront le faire. Impossible de revenir cependant sur chaque moment de ce disque tant il regorge de détours et contorsions musicales – en seulement 36 minutes ! – qui font de Blue Bendy l’un des groupes les plus prometteurs du moment et de « So Medieval », déjà, l’un des albums de l’année ?

Bingo Fury – Bats Feet for a Widow

Bats Feet For A Widow | Bingo Fury

Plus tôt dans l’année, un autre disque sorti sur ce même label a attiré notre attention en février, le premier disque d’un jeune musicien qui se fait appeler Bingo Fury. Originaire de Bristol, le musicien de 24 ans qui se cache derrière ce pseudo réalise ici une véritable prouesse musicale. Le disque mélange des éléments de jazz, de balades de crooner à la Scott Walker, et des effusions post-punk noisy. L’album qui porte le nom de « Bats Feet for a Widow » est de toute évidence une collection de musiques savantes et complexes. L’ingéniosité particulière de Bingo Fury réside dans le fait que ces chansons conservent, malgré tout, une immédiateté.

On apprécie justement ces chansons dès la première écoute, malgré des structures alambiquées, des notes atonales, des explosions de free jazz, et des paroles dont le sens poétique ne se révèle que de façon épisodique. La sensation de désorientation produite par l’écoute du disque est contrebalancée par la voix grave – quasiment une basse à vrai dire – de Bingo Fury qui, à travers, ses paroles évoque justement la désorientation en question sur « Unlistening » :

« I saw you breathing
By the fire boat station
I was broken
I was stunted by religion
Now I can’t seem to keep it straight
I keep waking up with all your tattoos
When I feel the wind change
I lose my point of view
Thoughts drift in from different postcodes
They’re all I can see and hear »

L’album se poursuit avec des titres plus percussifs et qui marient à nouveau de manière surprenante le free jazz et le post punk, en gardant une trame mélodique comme « Power Drill » et son festival de guitares saturées, son piano plaqué à toute vitesse et ses cuivres dissonants. L’un des plus beaux moments du disque vient avec « Centrefold » qui, comme son nom l’indique, est placé pile au milieu de l’album. Les paroles du titre semblent refléter un moment de répit du chaos ambiant et d’optimisme :

“Everything was holy
And everything was within our means
At least for the moment
At least for a little while”

 

“I’ll Be Moutains” revient ensuite avec un petit riff menaçant de piano qui évoque certaines instrumentales de MF DOOM époque Madvilainy, avec une boite à rythme. La voix de Bingo Fury est saccadée et accompagnée de petits rushs de cuivre et, à nouveau, on est marqué par la facilité avec laquelle ces différents styles se combinent, en circonvolutions harmonieuses.

On ressort très impressionné par l’ambition de ce premier disque, qui en seulement 28 minutes réussit le tour de force de désarçonner l’auditeur.ice tout en ayant l’impression d’être accompagné par une force tranquille dans ce voyage tortueux. Si vous cherchez  « autre chose », et si vous pensiez avoir déjà tout entendu, « Bats Feet for a Widow » vous prouvera le contraire. Nous sommes en avril et le label state51 a déjà produit deux des premiers disques (!) les plus aboutis de 2024.