Après une édition 2022 marquée par une semaine de concerts dans différentes salles et configurations à Paris, la soirée finale se voulait être l’apogée d’une programmation éclectique et résolument tournée vers les nouvelles têtes montantes de la musique internationale actuelle. Dans le décor magistral de l’Église Sainte-Eustache, la chanteuse pakistanaise Arooj Aftab a enchanté la salle ce lundi 21 novembre.
Venir à un concert dans une église, qui plus est une aussi massive que celle de Sainte-Eustache, est toujours quelque chose d’assez solennel et exceptionnel. Cela l’est d’autant plus quand il s’agit de voir un concert de musique indépendante et actuelle, par une chanteuse pakistanaise chantant essentiellement en ourdou, dans l’édition parisienne du festival Pitchfork – connu pour être le site musical de référence de la « indie music ».
En arrivant dans l’église, le lieu de culte est transformé pour accueillir un public « profane », avec transformation des nouveaux sièges et bancs en mode « concert » – l’organisation faisant par ailleurs remarquer qu’il s’agit de leur première utilisation dans ce cadre et semble en être fière. Comme d’accoutumée lors de ces concerts à Sainte-Eustache, la scène est uniquement éclairée par des bougies placées tout autour, créant à la fois une ambiance mystique et presque intimiste pour un lieu aussi monumental. Le public arrive donc en nombre et remplit peu à peu la nef avant l’arrivée du groupe.
On peut regretter l’absence de première partie, pourtant déjà vue dans cette même salle, mais cela a au moins le mérite de rendre le concert d’Arooj Aftab encore plus exceptionnel et unique, tout en permettant d’avoir une durée de set bien plus longue que ce que l’on connait habituellement en festival, à savoir presque 1h30 en comptant un rappel. Le groupe arrive donc sur scène vers 20h30, composé en plus de la chanteuse d’un guitariste (Gyan Riley) sur sa gauche et d’un violoniste (Darian Donovan Thomas) sur sa droite.
En guise de décor – si on omet le décor naturel de l’église qui en soi est déjà massif – on aperçoit sur la scène un vase remplit de roses (qu’elle lancera à diverses personnes du public pendant le concert) ainsi qu’une bouteille de vin rouge (qu’elle entamera sérieusement et annoncera boire toute seule dans la soirée), un verre étant déjà versé juste à côté et bien sûr un gros logo « Pitchfork« . Une cloche retentit juste avant les premières notes, provoquant au passage un rire et rappelant que ce concert n’est pas tout à fait dans un lieu anodin.
Le trio, avec un matériel assez minimaliste finalement, entame le set par « Baghon Main », premier morceau du très beau dernier album, « Vulture Prince » sorti en 2021 et qui a valu à Arooj Aftab une signature sur Verve Records. Dès cette première chanson, on comprend assez rapidement ce qui rendra le reste du concert stupéfiant : le jeu de guitare délicat et virtuose de Gyan Riley, n’hésitant à placer des solos de guitare assez impressionnants ; le violon de Darian Donovan Thomas parfois joué classiquement frotté avec un archet, parfois en pizzicato ; et bien sûr la voix également planante et puissante d’Arooj Aftab, qui laissera bouche-bée un grand nombre d’auditeur.ices.
Le groupe enchaine donc les morceaux, pour la plupart issus du dernier album, avec cette configuration sans trop jouer avec les effets sauf en de rares instances (quelques moments d’étonnement au moment où la violon sonne un peu comme un clavier électronique!). La chanteuse peut en tout cas s’appuyer sur ses deux compagnons, qui rallongent les compositions originales par des solos respectifs virtuoses et inspirés. Elle en blaguera d’ailleurs en disant que ses musiciens sont si bons musicalement que ça en devient « malpoli », mais qu’au moins elle peut les laisser à leur travail pour simplement « chanter de longues notes et boire du vin ». Cette observation soit modeste soit ironique ne doit pas laisser croire que les musiciens font tout le travail : le travail vocal d’Arooj Aftab elle-même pendant le concert est tout simplement fantastique. Les longs chants montant et descendant en intensité avec toujours autant d’intensité et de justesse. On se perd – dans le bon sens – dans ces longues compositions et le chant d’Arooj Aftab est vraiment un régal pour nos oreilles.
C’est peut-être surprenant pour quiconque ne s’est jamais rendu à un concert d’Arooj Aftab, mais la chanteuse distille un humour omniprésent et provocateur entre les chansons, plaisantant notamment sur l’apparente dépression des Français.es, le fait qu’il.elles sont trop calmes en concert (« des personnes émotionnellement matures qui viennent en concert et pleurent les yeux fermés »), demandant à l’audience si tout le monde est déprimé aujourd’hui (en même temps, le poids du lieu écrase autant qu’il émerveille). Elle explique que presque personne ne comprend la langue qu’elle chante, mais qu’il faut savoir que la plupart des chansons parlent d’être bourré.e et mauvais.e en amour. Elle convient cependant qu’un compromis est possible entre le flegme parisien, qu’elle pensait pourtant « wild », et elle-même : « on devrait pouvoir se retrouver au milieu ». Elle demande aux photographes d’essayer de ne pas prendre de photo en contre-plongée car ce n’est pas très flatteur, admettant tout de même qu’elle les inviterait bien sur scène si ce ne provoquait pas un risque d’incendie.
Elle profite également avant de jouer « Udhero Na » pour rappeler qu’elle venait d’apprendre récemment avant un concert à Bâle en Suisse qu’elle était nominée pour un Grammy Award dans la catégorie « Best Global Music Performance » après en avoir déjà gagné un l’an passé et devenant ainsi la première pakistanaise à obtenir le prix ; avec tout de même une petite blague piquante dont elle a le secret « c’est bien que les États-Unis nous donnent des prix, parce qu’ils nous donnent quoi d’autre sinon ? ». Bref, ces moments de rire tranchent avec la solennité du lieu et de la musique, et parviennent à donner au public quelques ailes et se fera plus entendre à la fin du set, tel qu’Arooj Aftab le voulait.
On ressort de l’Église avec le doux sentiment d’avoir assisté à un très joli moment de musique hors du temps et de l’espace, planant et malgré tout souriant grâce à la personnalité charismatique et drôle d’Arooj Aftab, pour conclure en beauté cette édition de Pitchfork Festival Paris où nous aurons fait plusieurs très belles découvertes.
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