Après deux EP et un album remarqué, UTO revient avec son nouvel opus “When All You Want to Do Is Be the Fire Part of the Fire” (un titre que n’aurait sûrement pas renié feu Laura Palmer), signé chez InFiné.

Les deux protagonistes du duo, Neysa May Barnett et Émile Laroche, dans la continuité de leurs productions depuis 2017, façonnent un univers musical aventureux où l’expérimentation dans la synthèse sonore s’unit harmonieusement avec des mélodies pop entêtantes. Plus radical que le précédent, l’album fait un pas de plus vers un futur synthétique où les rares sonorités acoustiques qui affleurent sont le plus souvent saturées, électrifiées, tranchantes mais jamais crispantes. Les violons sont ainsi plus proches d’un mellotron malingre et légèrement désarticulé que de l’orchestre philharmonique.

Un peu dans le style des cousins anglais de Jockstrap, on sent des références très late 90’s dans ce nouvel album. Entre les années 1995 et 2000, nombre de producteurs et de groupes se sont affranchis des styles musicaux bien définis pour explorer des mélanges sonores toujours plus inclassables. Bien aidée par une utilisation audacieuse du sampling et une nouvelle technologie florissante, cette période a vu apparaître des ovnis musicaux.

Nous pourrons citer pêle-mêle « Dig Your Own Hole » des Chemical Brothers (1995), « You’ve Come a Long Way Baby » de Fatboy Slim (1998) ou encore le cultissime « The Fat of the Land » de Prodigy (1997). Modernisée et remise au goût du jour, émaillée de multiples autres influences, c’est cette période qu’UTO semble faire revivre à travers notamment ses beats ravageurs. Car du son Big Beat à la Jungle en passant par le Trip-Hop, si ces styles sont parfois durs à classer, ce sont souvent les drums qui font leur singularité.

Le soin apporté aux batteries impressionne dans cet album. Ainsi, dans l’excellent « Unshape« , peut-on entendre une drum rappelant fortement les Chemical Brothers des premiers albums. Dans « Zombie« , « Plumbing » ou « Art & Life« , c’est plutôt le breakbeat d’artistes comme Aphex Twin ou Squarepusher qui diffuse son énergie fiévreuse. Et dans les deux singles « 2Moons » et « Napkin« , ce sont les lointains échos du Trip-Hop de Bristol qui sont actualisés à la sauce analogique. Tous ces beats, loin d’être des copier-coller de ce qui s’est fait précédemment, acquièrent une personnalité propre chez UTO à travers une foultitude de percussions glitchy, bruits blancs, sonorités industrielles et autres objets sonores non identifiés.

Jeux de voix, jeux de vilains

Sur cet écrin solide viennent se superposer les voix des deux artistes, tantôt l’un, tantôt l’autre, tantôt les deux, savamment suppléés ou épaulées par des traitements vocaux complexes. Que ce soit sur le sombre et déstructuré « Plumbing » ou, à moindre mesure, sur l’hymne vaporeux « 2Moons« , les voix saturées, doublées, pitchées semblent par moments tenter de s’extirper des machines dans lesquelles elles sont engluées. À l’inverse, la voix claire et cristalline de Neysa vient accentuer un peu plus ce contraste entre les textures vocales, comme sur « Midway » où elle répond à celle d’Émile, très transformée, ou en solo sur le superbe morceau « Napkin« . L’artiste HSRS (qu’on avait notamment adorée sur son duo « Les Oignons » avec Bonnie Banane) vient également prêter sa voix suave sur le grouillant et déstructuré « Bredouille« , morceau qui clôture l’album.

Cette diversité des traitements et des textures vocales, qui confinent par moments à l’androgynie (« Midway », « Plumbing« ), confère à l’album une singularité sombre, une fascination déroutante comme si la fusion de l’organique et de la machine nous laissait entendre les murmures ou les râles d’un esprit païen.

Avec le remuant premier titre « Art & Life » qui parle de feu follet et d’inspiration créatrice, le groupe intronise son attrait pour l’animisme et un certain mysticisme : « Remember when you warned me that chasing a will-o’-the-wisp will consume me before it warms me / Souviens-toi quand tu m’avertissais que chasser un feu follet me consumerait avant qu’il ne me réchauffe ». On peut retrouver cette thématique dans « Zombie » où un mauvais démon rapporte des enfers des cadeaux insolites (« My zombie takes great care of me / From hell he brings me back unusual gifts ») ou « 2Moons » et son cortège d’analogies brumeuses (« Two rings on a star / Two moons for a wild sun, bright sun just one / Deux anneaux sur une étoile / Deux lunes pour un soleil sauvage, un soleil éclatant juste un »). « 2Moons » parle également d’une relation sentimentale où la personne à qui s’adresse le chanteur semble tiraillée entre deux envies contradictoires (« On dirait que tu veux les deux / La vie sûre, le chaos / Le long terme, l’étincelle / Les plaines, les gens / Les tableaux qu’il peint / La maison que j’ai construite »), longue accumulation d’exemples qui n’est pas sans rappeler celle du film « Trainspotting » (« Choose life… »).

Ce mysticisme ancestral vient donc côtoyer dans les textes des histoires amoureuses teintées d’imbroglios sentimentaux, comme cette réflexion écrite sur un coin de table et chantée par Neysa dans « Napkin » : « Love is the hypothesis we build on / A bet in the wind / Beautiful and insane / I wrote this on a napkin / L’amour est l’hypothèse sur laquelle nous construisons / Un pari dans le vent / Beau et fou / J’ai écrit ça sur une serviette ».

 

UTO renouvelle dans cet album son amour pour les mélodies bien faites en ne transigeant nullement sur l’aspect novateur de ses productions. Avec sa pop ensorceleuse à mi-chemin entre les mystères des bois sombres et le désenchantement des grandes villes, UTO réussit à faire la synthèse entre le mouvement et les imperfections du vivant et la froideur métronomique des machines. Au cortège de sonorités oscillantes, bruitistes, subtilement désaccordées et jamais exactement sur la note vient répondre la voix limpide et éthérée de Neysa comme une coulée de glace sur un circuit électronique.

À travers ses neuf chansons denses et maîtrisées, le groupe nous entraîne encore un peu plus dans son univers futuriste exigeant mais accessible où la magie noire n’est jamais vraiment très loin.

Album : “When All You Want to Do Is Be the Fire Part of the Fire” (InFiné)
Le 17 décembre 2024 à la Gaîté Lyrique.