A l’occasion de la sortie de la nouvelle compilation Voyage III, nous avons rencontré Arthur Peschaud, fondateur de Pan European Recording afin d’échanger avec lui sur la compilation, ce qu’est être un label en 2018 ou encore sa vision de l’industrie musicale

Avec la sortie de voyage III le 20 avril, nous voulions savoir comment tu voyais Voyage I, II et III? Comme une mise en avant de projets du label et la présentation des nouveaux artistes ou plutôt une parenthèse dans la vie habituelle du label?

Je dirais que c’est plus une présentation de qui on est à un instant T, une photographie du label et  des artistes proches du label qui tournent autour. Chaque Voyage est ancré dans l’époque où il sort. Forcément, la finalité c’est de mettre en avant les artistes du label, mais c’est plutôt l’idée de photographier la musique d’aujourd’hui, vue par nos artistes.

Tous les titres ont été créés pour l’occasion?

Alors certains titres ont été créés effectivement pour la compilation, d’autres existaient déjà…

Notamment le titre de Buvette qui était sorti en 2012?

Oui, en effet, il était sorti en 2012 et a été retravaillé pour la compilation avec son groupe avec lequel il jouait sur sa tournée précédente. On trouvait intéressant de le retravailler pour le rendre plus rock. D’ailleurs, il travaille sur son nouvel album en ce moment.

On a pu lire que l’évasion était au coeur de cette compilation. Pourquoi ce choix en 2018?

Alors bonne question ! D’ailleurs, c’est ma première interview pour Voyage III donc je n’ai pas de réponse toute faite (rire) Je pense que le choix de ce thème c’est parce que, selon moi , c’est le rôle même de la musique. Je pense que la musique nous permet de nous évader, c’est un vecteur de souvenir, d’émotion. Tout le monde a envie de vivre des aventures. Le voyage, c’est un mouvement d’un point A à un point B. Je dis souvent ça aux artistes, le rôle d’un label c’est d’être un vecteur pour permettre d’aller jusqu’au point B. Le rôle de la musique, c’est de nous emmener, c’est de nous extraire du réel. Elle se passe en son soi.

Et pourquoi plus maintenant en 2018?

L’idée de Beyond the Darkness, c’est qu’on est dans un monde un peu fini, il n’y a plus de grandes explorations, même nos parents dans les années 80, ils étaient encore dans un monde un peu ouvert, où on pensait que l’aventure était importante. Maintenant, nous sommes dans un monde clos et obscur. Ça nous oblige à revoir tous nos systèmes de pensée. Le voyage peut aussi se passer dans notre tête.

Je trouve important qu’on ait des quêtes. Le voyage permet de se découvrir, de se connaître. Notre corps est une sorte de prison ; le voyage se fait avant tout dans notre cerveau. Derrière Beyond the darkness, c’est l’idée de chercher l’utopie, sortir du réel et de la dureté du monde.

Je suis fan de jeux vidéos, et avec les jeux vidéos, on peut vivre également des aventures, notamment avec la réalité virtuelle, c’est une évidence. Avec Voyage III, je veux créer des mythes.

Et donc, à quand Pan European créateur de musique de jeux vidéos?

(rires) J’adorerais, c’est mon rêve. J’embête les employés du label avec la musique de Zelda en ce moment, ils viennent de la sortir en vinyle. Mais en France, c’est compliqué pour faire la musique de jeux vidéos avec la question des droits d’auteur. On a déjà eu des morceaux dans des jeux mais pas de créations pures. J’adorerais que Flavien Berger ou Buvette fasse une BO.

Pour venir à Voyage III, tu leur as dit ce que tu nous as dit aux artistes comme « brief » ou ils ont été libres?

On parle beaucoup avec les artistes. Je pense que 80% du process se fait par la parole. Poser des barrières, ça fait partie du travail d’un label. On passe beaucoup de temps à parler du rôle de la musique, pourquoi on fait les choses, du sens que l’on veut leur donner.

Et c’est à l’issue de ces discussions que les artistes se mettent ensemble pour les collaborations par exemple?

Alors pour la collaboration, c’est vraiment Flavien Berger qui l’a voulue avec Etienne Jaumet pour l’occasion. Flavien n’était pas sur Voyage I et II car il est arrivé juste après le 2ème, mais il connaissait bien les compilations avant de rentrer dans le label. Etienne Jaumet représentait le plus ces disques selon lui. Il nous a dit, si je fais partie de la compilation, je le fais avec Etienne.

Et l’édit de Maud Geffray?

Alors elle était fan du titre d’Hanaa Ouassim. Elle a pris le morceau, l’a formaté un peu pour faire une version de 8 minutes au lieu de 27. C’est un vortex ce morceau (rire).

Donc globalement  ça c’est fait individuellement?

Exactement. C’est des histoires différentes à chaque fois. Le morceau qui fait un peu Vietnam avec Nikko Waves & Zoltan Duperieux, c’est un morceau qu’on a fait en l’imaginant avant.

Et ces histoires, elles seront racontées? Par exemple dans le vinyle?

Pas vraiment. Je préfère laisser l’imaginaire fonctionner. J’ai remarqué quelque chose. À force d’aller voir les grandes gloires en concert ou autre, je me suis aperçu que je préférais l’image que j’avais d’eux et les histoires que je me racontais plutôt que la réalité. Quand j’ai vu Deep Purple en concert, je n’ai pas pu écouter un seul titre du groupe pendant 15 ans (rires). Cela a cassé le mythe. Je préfère que les gens se fassent leur propre histoire.

Sur Voyage III, il y a quand même une couleur un peu orientale et asiatique. Est-ce que ça avait été voulu?

Ah oui, c’est vrai ça ! Il y a Hanaa Ouassim, le titre de Richard Fenet, Nikko Waves dont je parlais avant et même le titre inital que devait faire Calypsodelia avec Nisrin (pour écouter le titre en exclusivité sur Listen Up, c’est ici). Ça s’impose comme des évidences, ce n’est pas réfléchi particulièrement, c’est contemporain, la musique se mélange.

Et sinon quelle est ta vision de l’industrie musicale en 2018?

J’ai la sensation que les choses se réorganisent, on ne sait pas encore si c’est pour le mieux, mais en tout cas je sais qu’il y a un nouveau système économique qui se met en place. Il est fragile, mais il a le mérite d’exister. On s’accroche toujours, nous. On a connu 10 ans de crise de disque réelle où on est passé d’un secteur qui rapportait plein d’argent à plus du tout. Cela a été radical.

Il a alors fallu inventer un nouveau modèle économique. On a plus de 10 ans, donc il a fallu trouver notre système économique, comme les autres. Pour nous, il est davantage basé sur la musique à l’image, quand pour d’autres ça sera plutôt le booking, l’organisation de festivals, etc. C’est arrivé assez tard que les tourneurs s’intéressent à nous, avec Koudlam et Flavien. Avant ils nous trouvaient pas assez formatés, trop freak. (rires)

Tu parles justement de Koudlam, de Flavien. Comment Pan European s’articule entre les artistes qui ont une notoriété et ceux qui sont davantage de jeunes projets?

J’ai la même ambition pour tous les projets que nous travaillons. Le processus est toujours du cas par cas, il faut réinventer une façon de travailler en fonction des artistes. Un disque, c’est comme une mini cellule de crise.  C’est un investissement psychologique, c’est ça qui rend le travail aussi passionnant.

Et des disques comme celui de Nicolas Ker et Ariel Dombasle, ça ne brouille pas l’ADN du label?

Je ne crois pas, je n’espère pas. J’ai l’impression que l’ADN du label n’a pas bougé depuis le premier jour, le processus du label n’a pas changé.

Pour revenir sur vos projets, cela faisait un moment que vous n’aviez pas signé un nouvel artiste. Vous en avez signé trois nouveaux d’un coup. Pourquoi ce changement de stratégie?

Parce que comme tu l’as dit, ça faisait un moment. Souvent quand on ne signe pas, ça correspond à des moments où nous n’avons pas d’artiste à signer tout simplement. On nous envoie souvent des démos avec des esthétiques proches d’un des artistes du label. Ca ne m’intéresse pas, je ne veux pas mettre les artistes en concurrence, en compétition. Ça ne créerait que des problèmes de faire ça.  Quand nous signons un artiste, ça se fait assez naturellement. Si on signe beaucoup, c’est parce qu’il y a beaucoup de bons artistes qui nous sont proposés.

Et donc selon toi, c’est une nécessité de prendre de nouveaux artistes?

Oui et non. C’est une nécessité pour rafraîchir la parole du label. Quand nous trouvons la musique intéressante et que nous avons les moyens de faire le disque, nous le faisons. C’est aussi simple que ça. Ca passe également beaucoup par l’humain, rarement par des mots. On écoute assez peu les démos qu’on nous envoie car écouter c’est s’impliquer et c’est compliqué. Si tu ouvres un peu la porte, ça entraine plein de questionnements. Il faudrait qu’on soit plus nombreux, nous sommes quatre seulement. Bien évidemment, il y a d’autres partenaires, comptables, éditeurs, etc. Après, on n’est pas contre devenir une multinationale (rire).

Plus sérieusement, le plus important c’est d’avoir l’énergie pour faire ce que l’on fait au quotidien pour le projet d’après, comme un fil qui se tire vers l’infini. On l’a et c’est le plus important. Il y a le nouveau Koudlam qui va arriver, Maud Geffray qui travaille sur un projet avec la harpiste Lavinia Meijer (NDR : dû au concert de reprise de Philip Glass dans le cadre de Paris Music qu’elles ont réalisé). Il ne manque plus que la validation de Philip Glass. Lisa Li Lund prépare quelque chose aussi, il y a Fantomes qui sort son EP le 18 mai. Il y a Richard Fenet qui fait un peu la suite de Calypsodelia.

Il y a beaucoup d’artistes dans le label, comment se passe la vie du label? Comment vous vous organisez au quotidien?

On fonctionne davantage comme dans une bulle. On a nos partenaires qui sont Sony, les personnes avec qui nous faisons la promotion de nos projets. Je travaille beaucoup avec les artistes car je m’occupe de la direction artistique, Elodie est cheffe de projet, Maud s’occupe de toute la partie administrative et Gillian s’occupe des réseaux sociaux, de la communication et de la promo. Au final, on fait tous un peu tout.

La convention du label indépendant commence samedi au Point Ephémère et vous y participez. Pour toi, qu’est ce qu’être un label indépendant en 2018?

Pour moi, l’étiquette vient de trop loin maintenant et ne fait plus aussi sens qu’avant car le modèle économique n’est plus le même. Pour être un label indé c’est : « comment faire exister la musique en 2018? » car parfois, des artistes sont des labels à eux tout seul.

La barrière entre label indé et major est désuète. Au final, ces derniers temps, j’ai rencontré plus de personnes passionnées par la musique en major qu’en label indé qui sont un peu les ayatollah de leurs royaumes. Moi ce que je veux c’est que mes artistes fonctionnent le mieux possible. Après…

Pour toi c’est de moins en moins vrai la différence entre les deux?

Bah dans les années 80-90, il y avait une vraie différence entre les deux. Quand il y avait énormément d’argent dans les majors, c’était vraiment deux systèmes complétement différents qui fonctionnaient de leur coté. Maintenant ce n’est plus vrai, tout est plus éclaté.

On peut même voir avec l’initiative du Prix du label Indé qui est une bonne idée en soit mais où la séparation ne se fait pas au bon endroit quand Because, Believe, pour ne citer qu’eux, en font partie. On devrait pouvoir les qualifier par chiffre d’affaires, ou par le nombre d’artistes, etc.

Les projets marketés peuvent fonctionner mais ça ne s’ancre pas dans le temps. Depuis le début du label, c’est la temporalité, c’est de tirer un fil, ancrer les choses dans le réel.

Le business modèle a évolué, toutefois, quand nous voyons des nouveaux labels comme Initials qui met énormément d’argent sur de jeunes artistes « Bankable », ce n’est pas encore l’image de la major à l’ancienne que ça dégage?

Oui, c’est vrai tu as raison. Disons qu’on est dans une nouvelle ère encore, les choses se réorganisent, se mettent en place après 10 ans de chaos. La finalité c’est toujours la même, c’est que nos artistes vivent de leur musique et que leur musique soit le plus reconnu. Après avec l’évolution, on est obligé de s’adapter. Youtube embête l’industrie musicale car il ne rémunère pas assez l’artiste par écoute, mais nous n’avons pas le choix, on ne peut pas ne pas mettre les clips sur la plateforme.

Tu parlais d’artistes label précédemment. Comment tu vois l’évolution de l’industrie musicale dans dix ans?

Je pense que ça va se recloisonner un peu. Aujourd’hui, le label a également un rôle d’entonnoir. Il y a tellement de musiques, le label sert à restreindre pour permettre de mettre en avant des artistes à travers un prisme, sinon tout est éclaté et ça ne peut pas marcher.

Avant la télévision et la radio avaient un rôle de prescripteur musical, maintenant on cherche de plus en plus la musique qui nous intéresse directement. C’est le problème d’internet, tu cherches ce que tu cherches, pas forcément la qualité.

Avec l’écosystème actuel, on peut également voir que les plus gros titres écoutés dans le monde ne sont pas forcément américains comme on pourrait le penser, à l’image de PSY. L’Afrique est également foisonnante musicalement.

Vous cherchez dans cette direction-là?

J’adorerais, mais c’est compliqué de signer des artistes qui ne sont pas avec nous au quotidien, dans un environnement proche. Si j’avais un artiste qui est aux Etats Unis, ça serait très compliqué. Les albums qu’on sort ne sont jamais terminés, on ne sort pas des projets finis.

Nous sommes un label de développement, on a besoin de les accompagner. Le seul contre-exemple serait Poni Hoax, parce qu’il y a Nicolas Ker avec qui on travaille dans le processus de création, mais de façon moins intense que les autres.

Pour conclure quels sont les prochains « voyages » de Pan European en termes de sorties?

Il y en aura une dizaine en deux ans entre celui de Flavien, Fantomes, Koudlam, Buvette, Hanaa Ouassim, Richard Fenet, Etc.

Et sur les prochains mois, quels sont ceux à venir?

Fantomes qui sort le 15 mai, Flavien Berger en automne, Lisa Li Lund & Maud cet hiver, etc.