Mokado, un nom qui claque la douceur et fleure bon l’electro ouverte à un exotisme rêveur. De la contemplation de paysages remplis de vagues, au vague à l’âme d’une mélancolie à fleur de peau, les morceaux du producteur transportent au delà des ondulations du temps. 

Du temps, celui des carnets de son arrière grand-père, il est allé en tirer de nouveaux récits, qu’il met en relief musical dans son récent EP « Ghosts » sorti fin Janvier 2020. Des récits de fantômes à qui il a redonné vie le temps d’une soirée, les laissant s’entrelacer entre les danseurs dans la noirceur du Pop Up du Label.

C’est avant cette release party de « Ghosts » qu’on est allé les rencontrer, lui et les histoires qu’il tire de derrière son masque.

Il en a par ailleurs profité pour nous glisser l’annonce d’une Boule Noire le 23 Octobre 2020. Ainsi que pour nous donner dix morceaux qui l’animent en ce moment dans l’écriture de ses histoires. A écouter ci-dessous:

D’où vient le nom Mokado?

Avec mon ancien groupe, Blue Box, dans lequel j’étais batteur, on commençait à changer de style musical. Comme c’était un changement bien marqué, on s’est dit que ça pourrait être bien de changer de nom. On a donc tous commencé à réfléchir à de nouveaux noms.

Je ne sais plus comment je suis arrivé à Makado. Ça n’a pas été retenu, mais ça m’est resté en tête. Au moment de me lancer en solo, Makado est devenu Mokado, pour une question d’envie linguistique.

J’aime le fait que quelque soit la langue, chacun sait comment ça peut se prononcer et s’écrire. La consonance exotique du nom me plaisait bien aussi. Voilà, c’est assez simple.

Quelles sont tes principales sources d’inspiration musicales?

Beaucoup de groupes que j’écoute énormément, mais sans chercher à les rejoindre dans un style précis. J’adore des artistes comme Dominique Eulberg ou Max Richter, même si ce dernier est à des kilomètres de la musique que je fais. J’arrive à trouver chez eux une dynamique que je développe. De morceaux longs, mais qui en même temps doivent bouger. Dominique Eulberg fait des sons de sept minutes, mais il arrive à te donner l’impression qu’il en dure trois. Je suis aussi un grand fan de Superpoze.

Dans mes premières maquettes, je faisais du Superpoze, mais évidemment en beaucoup moins bien. Tu peux toujours chercher à t’inspirer fortement d’un artiste, mais tu te rends rapidement compte que ce n’est pas ce que tu recherches. Aujourd’hui, dans mes phases de composition, j’écoute très peu de musique.

Qu’est-ce qui t’inspire d’autre, notamment dans tes périodes de composition?

Il y a toujours une inspiration qui vient de la thématique des morceaux qui vont sortir. Dans le premier EP, « The Lives Of Others », l’inspiration venait du fait d’imaginer des histoires de personnes inconnues. Histoires que je pouvais inventer de toutes pièces.

Avec « Ghosts », le nouvel EP, l’inspiration est venue quand j’ai trouvé les carnets intimes de mon arrière grand-père. Je n’ai pas tout lu parce qu’il a écrit tous les jours des années 1930 aux années 1990. J’ai une matière pour faire 12 albums. J’ai picoré des moments cools et ce sont eux qui m’ont inspiré.

Je suis également très fan de la musique ambient au cinéma. Je ne connais pas forcément l’artiste, mais le mélange scène + musique, ça m’inspire à des kilomètres. Je me rappelle d’une scène de First Man de Damien Chazelle, où le compositeur fait des morceaux tout simples à la guitare, et c’est la façon dont il l’amène au bon moment qui me fait me dire qu’il faut que dans mon EP, il faut que je l’amène de la même façon, dans la même émotion.

Il y a un truc presque cinématographique dans la manière dont tu penses et présentes ta musique?

Avant d’être cinématographique, pour moi c’est d’abord un enchaînement. Je ne pense jamais un titre seul. Par exemple, je travaille actuellement sur l’album, dont j’ai déjà composé la conclusion. Et tout le reste va en découler.

De la même manière, pour l’EP « Ghosts », j’avais initialement composé une conclusion, qui a été enlevée de l’EP, mais c’est elle qui a structuré les autres morceaux. Il y a souvent une idée ou un morceau phare, et ensuite il y a un travail sur la manière de bien enchaîner les morceaux. J’ai une vision dans ma tête comme des vagues. Je me dis « là il faut que ça monte comme ça, et là il faut que ça redescende un peu ». Puis « là on dévie un peu, et après on revient ».

C’est donc un processus cinématographique mais plutôt abstrait. Je n’ai initialement d’images en tête, mais plus une idée de rapports émotionnels à la musique. Par exemple, dans ‘Afe’, je sais que j’ai envie de parler du temps qui passe, et je vais donc mettre des percussions organiques sur tous les temps, comme une horloge.

Pour revenir sur l’EP « Ghosts » et au morceau ‘Mona’, on sent que tu fais un glissement vers quelque chose de plus sombre par rapport à ce que tu faisais avant. T’as changé de drogue dernièrement?

Pendant la composition, j’ai un plaisir à me morfondre, à être dans un truc très dur, très lourd. Et je sens que les morceaux que je joue qui ont un côté plus sombre suscitent une réaction plus forte en live.

Après, sur « Ghosts », par exemple sur le morceau ‘Mona’, c’est ambivalent. C’est un morceau sombre, mais en même temps, tu y sens comme des petites pincettes d’espoir. Même si effectivement tu sens que l’atmosphère générale ne t’amène pas vers quelque chose de simple on va dire.

Cet aspect plus sombre vient d’histoires plus sombres aussi?

Oui, l’histoire de ‘Mona’ vient d’un voyage de mon arrière grand père entre Paris et la zone libre en 1940 pour retrouver sa famille. Durant une nuit dans un des hôtels dans lesquels il a dormi, il a entendu une scène de viol dans la chambre d’à côté. Qu’il décrit de façon très froide dans ses carnets. C’est donc assez dur, et il fallait que ça se ressente dans le morceau.

Pour ‘Altaïr’, un autre morceau sombre de l’EP, il voit en 1939 un SDF en train de faire un malaise que personne n’aide. Je me suis imaginé tout ce qui pouvait se passer dans ce personnage.

L’histoire d’‘Afe’ est moins sombre. C’est celle de mes grands parents qui se sont retrouvés à Tiaré en Algérie, alors qu’ils ne s’étaient pas vus depuis très longtemps parce que mon grand père faisait son service militaire pendant la guerre d’Algérie. Ils se sont retrouvés pour voyager en scooter sur les plaines enneigées du pays.

‘Pelagios’ se passe en 1938. Mon arrière grand père est en vacances à Sainte Maxime dans le Sud de la France, et raconte longuement dans ses carnets des échanges qu’il a eu avec un marin. Il est très intéressé par le monde de la mer, bien que ne le connaissant pas, étant ingénieur ferroviaire. Le morceau raconte en musique les histoires qu’aurait pu lui raconter ce marin, mon arrière grand père ne les racontant pas dans ses carnets.

Est-ce que l’histoire de ‘Mona’, la manière dont ton arrière grand père la raconte et comment tu la développes, ressort dans le clip?

Oui. Je ne m’attendais pas à lire cette histoire dans un carnet intime. Et quand je l’ai lu ça m’a marqué. Il y a aussi un parallèle qui s’est fait avec l’actualité sur les violences faites aux femmes, et de dire que rien n’a changé depuis 1940.

Je ne voulais pas parler de la scène de viol en soi, mais de l’après. De comment ça peut s’être passé dans sa tête de quand elle a claqué la porte de la chambre jusqu’à ce qu’elle rentre chez elle. D’où le fait que le morceau est très répétitif, avec des passages en boucle comme des pensées qui te claquent dans la gueule et que t’arrives pas à faire sortir.

Dans le clip, avec Akatre, les réalisateurs, on a voulu créer quelque chose de très abstrait et artistique. Avec ces masques, avec ce personnage féminin au milieu et des personnages masculins autour. Elle prend le lead à des moments et se fait bousculer à d’autres. Donc quelque chose de très artistique qui parle de ce moment dur. Qui peut être quelque chose de très pensé en tant que morceau, et aussi de très physique dans la danse, qui reflète beaucoup de cette dureté.

Il y a souvent de la danse dans tes clips. D’où ça vient?

Je pense que c’est un médium de transmission d’émotions qui m’a toujours touché. C’est un bon moyen de transmettre des choses, surtout en support d’une musique où le chant n’est pas présent. Ça amène une autre histoire au morceau de base.

Je sens que j’aime bien collaborer avec des personnes qui peuvent apporter autre chose à ma musique. De leur donner les clefs, leur dire « Voilà le morceau, ça c’est l’histoire, voilà où on va, et maintenant vous avez carte blanche sur la danse ».

Tu as des collaborations en cours ou à venir?

Pour l’instant il n’y a pas de nouvelles collaborations prévues sur des clips. Par contre on a des idées sur l’album.

Parce qu’il est pensé comme un long métrage, j’aimerais bien commencer à y introduire des voix chantées. J’aimerais beaucoup travailler avec Izia, déjà parce que j’adore ce qu’elle fait, mais aussi parce que l’apport de son style assez éloigné du mien créerait un mélange très intéressant.

Avec elle et/ou d’autres artistes, l’idée de leur proposer une manière de faire similaire à celle des clips. De leur laisser beaucoup d’amplitude et de discuter de la construction du morceau ensemble.

Aurais tu des artistes à nous faire découvrir?

Alors! Si j’écorche son nom, je vais me faire tuer, donc laisse moi vérifier. Elle est dans la sélection des Inouïs Auvergne-Rhône-Alpes cette année. Elle s’appelle Romane Santarelli et j’adore ce qu’elle fait. On est jamais rentrés en contact, mais je pense que ça vaudrait le coup.

Il y a aussi le projet que j’ai produit, d’un autre Romann. Qui est un projet qui a moins à voir avec mon style : c’est de la variété française poussée vers l’indé. Qui avait déjà faire la première partie de mon précédent concert au Pop Up du Label il y a un an.

Son principal morceau ‘Saint-Cast’ est sorti hier 25 février, et il sort son EP demain, 27 février. C’est un projet qui est gorgé d’émotions et de sensations.

Quelle place donnes-tu à l’aspect scénographique de ton travail? Il semble toujours très travaillé, par le biais d’une création lumineuse comme pendant le Rouxteur(s) Festival ou encore de masques…

L’aspect scénographique c’est pour moi le plus important. Je viens du live, et je me sens à l’aise plus que tout en concert. Et donc je cherche à travailler le show et les lumières, à son humble niveau, et ce dès le début. Quand je construis les morceaux, plutôt que d’avoir des images très cinématographiques, j’ai des idées de construction très basées sur la lumière. En se disant « Sur tel passage, si en live on faisait ça comme ça, ce serait fou! »

A l’occasion du concert à la Boule Noire, on va mettre les moyens pour faire passer le set lumière un cran au dessus!

 

On a hâte d’y être!