Sur la carte des festival français, la Villette Sonique apparaît comme une Terre Promise. Un Eden luxuriant où flânent et vibrent les amoureux de l’esprit d’indépendance de la culture musicale, des après midis alanguies dans l’herbe fraîche à croquer le fruit défendu, et des nuits infinies, fiévreuses et pas toujours très pieuses. Un jardin des délices qui rappelle aussi que la mise en avant des petits labels, loin de tout snobisme, reste vitale pour eux.

En ce weekend de Pentecôte, on est allés communier dans cette grande messe à ciel ouvert avec les bons fidèles de l’esprit rock. A grand renfort d’eau bénite, en quête du Graal auditif qu’on pensait trouver parmi ces 6 là: http://listnup.fr/2019/05/16/a-paris-lete-commence-avec-la-villette-sonique/

Inutile de dire qu’avec la qualité de la programmation (orchestrée désormais par Super! et La Route du Rock), bien structurée dans la continuité des années précédentes , chaque concert nous a un peu plus rapprochés du Nirvâna.

Alléluïa.

 

JEUDI 6 JUIN – VILLETTE SONIQUE, VOYAGES SONORES

Villette Sonique - Jour 1 - Mondkopf

C’est dans un Cabaret Sauvage mû en sorte de sanctuaire de l’ambient qu’on a commencé notre pèlerinage annuel à la Villette Sonique. La première soirée s’annonce comme une immersion en douceur dans ces quatre jours intenses. La lumière est tamisée, tout le monde est (encore) calme, on bascule déjà dans un univers plus paisible et transcendant que celui où s’agitent frénétiquement ceux qui rafraîchissent leur écran toutes les 3 secondes pour savoir qui de Jet Set ou Match a gagné Rolland Garros.

Lorsque, d’un coin de pénombre, s’évaporent les notes rêveuses de la musique de Kelly Moran, un silence quasi religieux se fait dans le lieu. Avec son univers sonore ondoyant, elle nous emporte dans ses hallucinations aquatiques. Complètement sortis du temps par ses harmonies lorsque elle s’arrête de jouer, les 15 minutes de son passage auront suffi à nous donner un aperçu de l’éternité. Ou d’un Univers parallèle (Bons speakers recommandés. Fermer les yeux recommandés) :

Mondkopf ne laisse pas le public reprendre contact avec la réalité et le renvoie dans des immensités contemplatives. Il déploie son maelström intense et ténu dans lequel chacun se retrouve happé. Un ode puissant et absolu aux immensités solitaires. Une bonne moitié des personnes présentes se retrouve les yeux fermés à se laisser emporter. On est prêt à quitter la Terre, vierge au premier jour de la Création comme au dernier, la preuve:

Là encore, à peine le temps de revenir sur notre planète, même pour un simple passage au bar, que des sortes de sons de sonars parviennent des tréfonds de la scène, dans une lumière bleue qui grandit, grandit, jusqu’à emplir tout l’espace. C’est Tim Hecker qui commence sa performance cérémoniale. Accompagné de l’ensemble Gagaku Konoyo, il complète la séance d’hypnose de la soirée.

Aux instruments traditionnels japonais se mêlent de puissantes incantations qui prennent aux tripes. Les tableaux lumineux se succèdent, donnant le sentiment de passer d’un monde complet à l’autre. Tim Hecker et le Konoyo Ensemble font surgir des rêves du chaos, à coups de gong dont les battements transpercent l’âme.

 

 

SAMEDI 8 JUIN – DES TROMBES D’EAU AUX PLUIES STROBOSCOPIQUES

 

APRES-MIDI

C’est dans un état de grâce après ce premier jour que nous poursuivons notre vertueux chemin à travers la contrée de Villette. Non pas le Vendredi, bien qu’on ait failli succomber à la tentation de faire une digression hérétique pour aller voir la performance dantesque du diabolique Danny Brown et de ses acolytes. Mais le Samedi, le jean bien accroché pour les 14 heures de live à venir pour cette seule journée.

La queue de peloton de la tempête Miguel arrosant encore le site avec des averses à en faire fuir un breton, il est plus difficile de trouver un groupe qui joue qu’un match de Rolland Garros suivant son cours. Bah ouais, les scènes sont petites et il n’y a pas beaucoup de surface de toiture pour les abriter. C’est aussi ça la magie de la Villette Sonique. Un joyeux bordel, qui tient on ne sait trop comment, avec peu de moyens, et qui finit toujours par rendre heureux des milliers de personnes.

Malgré tout, le rock tranquille de Belmont Witch finit par passer entre les gouttes pour se frayer un chemin jusqu’à la zone du bonheur dans le cerveau. Le rock un peu moins tranquille de Maria Violenza aussi, mais le niveau de décibels plus proches d’un passage de mur du son que celui d’une après midi bridge à la maison de retraite de Poissy-sur-Loing réveille sévèrement nos acouphènes de festivaliers réguliers.

On va laisser passer les sifflements auditifs devant une autre scène, s’attendant à voir notre plus grosse attente de la journée, Nova Materia. Las, alors qu’on les croise dans le public, ils nous annoncent l’annulation de leur concert dû au risque pour leurs instruments à cause de la pluie qui n’en finit pas de tomber. Les franco-chiliens gardent tout de même un sourire chaleureux et communicatif, tout heureux de leur passage au Festival Yeah, de Laurent Garnier, la veille. Sur du, on cite « matos qui tabasse ». Vivement leur prochaine date parisienne alors!

Un peu sonnés par cette annonce, on voit débouler sur scène, du coin de l’œil, un espèce de petit tourbillon rouge, accompagné de son M.C. Il ne s’en va pas rendre visite à sa mère-grand, mais bien retourner complètement la Villette Sonique. C’est sans doute la plus grosse claque du festival. Son nom? Novelist. Son nom? Novelist. (Il le rappelle une vingtaine de fois entre chaque morceau, forcément, ça reste en tête).

Avec son bon gros flow londonien, il transforme un public amorphe et vaporeux en cette fin d’après midi en une masse compacte, brute, énergique et joyeuse. Amusé et amusant, le rappeur déploie tout son talent dans des envolées qui rappellent autant celles de Danny Brown que de Slowthaï. Il laisse dans son sillage un feu qui n’est pas prêt de s’éteindre.

Déplacement vers la scène périphérique. Aïsha Devi y apparaît pour et comme une éclaircie. La productrice Suisse recouvre la Villette de son aura aérienne pendant la première partie de son set, pour amener l’assemblée dans un état proche de la transe.

Maîtrisant l’art de tenir son monde, elle le délivre avec autant de virtuosité dans de futuristes et phénoménales montées techno où affleurent ses origines tibétaines. Complètement happés, on en rate presque la grosse énergie Drum and Bass de Nyoko Bokbae. Orchestrée par un Bamao Yendé tout sourire, capitaine de soirée à la batterie, qui met un Boukan à la chaleur volcanique. Heat music only!

Tous sourires, les gusses de Black Midi le sont aussi, grimés en cowboys pour l’occasion. Les souvenirs se font flous pour relater ce moment du festival, mais sur les notes prises, on peut lire « le batteur déchire ». On leur fait donc confiance pour faire rouler La Boule Noire sur elle-même en Septembre (événement ici). Et comme une bonne vidéo vaut un bon souvenir, on laisse la musique et les images parler d’elles-mêmes:

 

SOIREE

On s’attendait à continuer la soirée dans la grande Halle de la Villette, mais les programmateurs ont dû se rabattre sur le pavillon Villette plus petit. Pour ne pas faire vibrer les momies de l’exposition Toutankhamon. On s’en fout, on est pas des momies, et qu’à cela ne tienne, ce que l’on perd en grandiose, on le gagne en proximité avec les artistes et entre les corps.

Deena Abdelwahed est elle aussi tout sauf une momie, et elle flamboie dans le lieu sous une pluie de stroboscopes. Haranguant la foule avec son prêche a-conformiste, « Khonnar », du nom de son album éponyme sorti en Novembre 2018 chez Infiné. Du nom aussi du mot arabe projeté en immense en fond de scène. La tunisienne a ébloui la pavillon avec une bass music expérimentale à la maturité implacable et impeccable.

David August se chauffe tranquillement le son alors que la salle atteint le statut « plus que plein à craquer », et la température approche celle de la canicule de 2003. On profite de la cohue pour se caler sur scène à côté de l’Allemand et profiter du concert aux premières loges. Constatant au passage que sa tête de poupon est encore plus enfantine de près.

Sans surprises ni accrocs, il aura régalé tout le monde. Fidèle à son statut de tête d’affiche, et de maintenant quasi monument électro. Le tout en ne jouant quasiment que ses dernières productions, et en laissant une large place à l’improvisation.

Sehr gut!

 

DIMANCHE 9 JUIN – LA DOUCHE IRLANDAISE N’ENTAME PAS LES MILLE FEUX DU SOLEIL

Après une (très) courte nuit, on retrouve Fontaines D.C dans leur hôtel pour une interview authentique et qui révèle pas mal de choses sur la constitution actuelle de la nouvelle scène rock irlandaise dans laquelle ils s’inscrivent. A lire ici.

L’hôtel étant situé à deux pas du parc de la Villette, on embraye directement pour la dernière étape du marathon musical. La scène sur laquelle joue Tiger tigre, le premier groupe de la journée, est placée pile dans l’axe de la Géode. Aux premiers accords, le soleil rejoint l’alignement et fait briller la sphère géante de mille feux. Que la lumière soit! Et la lumière est, dans la musique du groupe mené par Vincent Taeger, ex batteur de Poni Hoax. Le musicien nous met l’œil du Taeger (ou du Tigre) avec sa French/Kraut/Afro/Exotico/Touch bien excitante. Brillance dans les oreilles et dans les âmes tu sais.

De la brillance, le groupe qui suit, Corridor, en met aussi dans les zygomatiques avec leur line check bien lol tabarnak. Les cheums québécois ont l’accent si prononcé qu’on se demande si c’est pas une blague ou un groupe parodique. Eh non, ils viennent bien des quartiers cools de Montréal selon leur section « à propos » sur le réseau social qui commence par F. En tous cas, ça déconne sec entre deux morceaux avant de faire sonner les guitares bien grassement et rondement.

Le soleil a l’air de bien se marrer aussi et envoie ses rayons chauffer dur les jeans et vestons noirs du peuple rock parisien amassé sur la pelouse. Tout ce petit monde s’ébroue quand Corridor passe dans ce qu’ils jouent de la catégorie « psyché cool sympatoche » à celle de « y’a quelque chose à la Abschaum en plus joyeux et plus rapide, je sais pas vous, mais moi ça me donne envie de me rouler dans l’herbe et de faire des conneries bon vazy je le fais rien à foutre ».

Mdou Moctar prolonge un line up de l’après midi toujours plus chaleureux. Evidemment, à travers sa musique tu voyages entre les dunes, avec les caravaniers touaregs. Evidemment, quand le tempo s’accélère, tu te retrouves incapable de refréner plus longtemps tes envies de faire onduler ton corps. De son concert fidèle aux attentes, on retiendra particulièrement son discours de fin. Les mots doux de Mdou font beaucoup de bien à la foule de cœurs qui se rassemble pour l’écouter. S’il nous fait voyager, lui aura suivi la piste tracée par sa Fender blanche – « c’est la musique qui m’a amené ici ».

Ok, pour l’instant le tableau de cette dernière journée de la Villette Sonique est parfait. Il fait beau, ça se chauffe sensuellement le tatouage par ci par là, et l’excitation monte le long de la colonne vertébrale à l’approche du climax du festival, Fontaines D.C.

Oui, mais.

Pas de nuage à l’horizon, pourtant quand le programmateur du festival prend le micro pour annoncer l’annulation à la dernière minute du groupe de Dublin, une bonne grosse douche irlandaise s’abat sur les milliers de fans massés au pied du périphérique. Rappelle toi le pire orgasme que tu aies jamais eu, multiplie le par moins mille, et tu seras encore loin de la vérité en ce qui concerne le sentiment de déception qui a parcouru les spectateurs. Pire que le jour où ta première planche de skate s’est brisée en deux. Un vrai naufrage. Il se murmure en coulisse que le groupe a eu de bonnes raisons d’annuler, du type familiales et on en dira pas plus.

Ok, au vu de la génialité de leurs morceaux, toi tu leur pardonne, mais ton cerveau suinte la frustration et réclame un shot immédiat de dopamine. « DU ROCK, VITE, BORDEL! » Le grand vide du line check suivant te répond. « One-two, one-two…Check, chhhheeck » est tout ce qui parvient à ton lobe interne, pendant que le manque te fait bien tachycardier, trembler tes mains, et descendre un fil de sueur froide le long de ton front.

Crack Cloud, qui prend tout son temps pour faire ses balances en face de toi, va devoir taper fort, très fort, pour faire passer la pilule. Y’a urgence! La bande de Zach Choy finit par capter le message envoyé par l’assemblée huante et vociférante et répond par une explosion post punk libératoire. Bien plus forte et rapide que les quelques vidéos youtube matées pour se teaser le moment.

Les tourments du public enfin lâchés au grand air se mêlent à ceux du saxophone qui les fait s’envoler dans une tempête de liberté. Saccades, saccades, saccades et groove pour faire déborder l’ânergie des quarante premiers rangs. Les harangues batteur/chanteur/leader et le look 80’s noir/mauve à la Steve Strange en plus gothique et cuireux emportent le reste.

Amen.

 

Tout ce déluge sonore conclut en tourbillon quatre jours soniques, bordéliques, et pas toujours très catholiques. Villette Sonique, un festival qui envoie toujours au septième ciel.

 

Quel voyage!