« Coucou, Beuh !!! », bande son parfaite pour un gros exutoire post-confinement. Comme une envie d’enfiler sa cote de maille pour ne se prendre aucune goutte de ce ****** de Covid-19, et la lui jouer à la flamme bien moyen-âgeuse. Ou à grands coups d’oreillers, c’est selon; peu importe, du moment que sous le casque de chevalier du futur résonne la techno à guitare déflagrante de La Jungle.

Comme une envie, à l’écoute de leur double album (sorti chez EXAG’ Records), d’être en plein dans un de leurs concerts (d’un concert tout court, en ce moment!) Comme une envie de savoir d’où sort toute cette énergie que déploient Jim (Mathieu Flasse – guitare, clavier et voix) et Roxie (Rémy Venant – Batterie), avalant plus de 400 concerts en 5 ans. Une énergie qu’on avait déjà essayé de capturer en texte lors de leur passage à la dernière édition du MaMA Festival. Comme une envie d’aller leur poser un paquet de questions, d’ailleurs. Donc interview. Maintenant. BOOM !

Comment vous êtes-vous rencontrés et avez-vous formé La Jungle ?

Jim : Ca s’est fait en 2013 via une association d’organisation de concert, Dewane. On organisait tous des concerts chacun dans notre coin puis on a centralisé ça en une seule association. On a ensuite cherché à faire un nouveau groupe; je jouais déjà avec Petula Clarck mais je cherchais à faire plus. Et Rémy cherchait un groupe, c’est donc comme ça que ça s’est fait. On a commencé à répéter dans le garage de ses parents, comme les vrais groupes anglais!

Vous organisez toujours des concerts ?

Jim : Pour l’organisation de concerts, il y a eu une pause pendant un moment, et puis ça a repris avec d’autres potes qui ont rejoint l’association. On organisait surtout sur Mons, la ville d’où on vient.

Roxie : Pour ma part, je travaille à Charleroi, dans un lieu qui s’appelle Le Vecteur.

Votre musique sent le kraut, la transe, la sueur à plein nez et plein de trucs indéfinissables dans lesquels chacun mettra ce qu’il voudra. D’où ça sort, et quelles sont vos influences, pas seulement musicales ?

Jim : En effet, si les gens entendent un riff’ de kraut ils diront que c’est kraut. D’autres diront que c’est techno parce qu’il y a un bon rythme techno. Nous on ne veut juste pas que ce soit math rock! Mais c’est clair que je voulais faire un truc plus tribal, plus répétitif que ce que je faisais déjà. Je crois qu’on a bien avancé dans cette voie là!

Pour ce qui est des influences, je n’ai pas vraiment grandi en écoutant ce genre de musiques. C’est plutôt parti de Nirvana, Leonard Cohen, At the drive in… Fugazi aussi.

La Jungle reprenait en 2019 « Avalanche », de Leonard Cohen. 

Roxie : J’espère que ce qui se passe en guitare-batterie va plus fait penser à King Gizzard and the Lizzard Wizzard ou The Oh Sees plus que des groupes math rock comme Shellac. S’il faut répéter pendant des jours pour être en place, c’est pas trop l’esprit du truc! En tous cas l’esprit est rock!

Et l’énergie aussi ! Sinon, comment prononce-t-on « Coucou, Beuh !!! » ?

Jim : « Coucou! », puis pause, « Beuh !!! » C’est un truc qu’on faisait avec le public, pour voir s’ils réagissaient. On faisait « Coucou! », il fallait qu’ils disent « Beuh!!! »

C’est un truc d’enfant à la base, quand tu caches ton visage avec tes mains, qu’on te dit « Coucou! » et que tu ouvres tes mains en criant « Beuh!!! » C’est un truc qui est venu assez naturellement pour qualifier les lives dans l’album.

Quelle est d’ailleurs l’envie de cet album, de sortir des lives comme ça, de passer de l’un à l’autre, de mixer différents univers ?

Jim : C’est Hugo, un ingénieur du son français avec qui on travaille, qui avait enregistré le live au Périscope à Lyon. On avait trouvé ça super et le son nickel et c’était resté comme ça.

C’est aussi lui qui est venu au Festival de Dour, et il s’est arrangé avec l’ingé son du festival pour avoir du matos pour enregistrer. A ce moment là on ne parlait pas encore de faire l’album. Je ne sais plus comment est venue l’idée, mais à notre sens c’était cool de sortir un album avec des lives qui couvraient les 3 précédents albums.

Roxie : Quand Hugo nous a envoyé le son, et qu’on s’est rendus compte qu’il sonnait vraiment bien, on s’est dit qu’on allait essayer de le diffuser sur des radios, comme par exemple Radio Rectangle. Lui ne voulait pas que ce ne soit que ça et nous a proposé d’en faire un vinyle, en y ajoutant le deuxième live.

Ce qui n’est d’ailleurs pas un truc réservé aux gros groupes, comme ont pu récemment le faire Idles ou même Neil Young il y a quelques mois. On encourage tous les groupes comme nous à faire ce genre de choses. Il y a une demande, des gens qui aiment bien ce genre d’objets. Et ça fait très longtemps qu’on nous dit que La Jungle c’est un groupe à voir en live, donc l’objet live est assez cohérent.

C’est vrai qu’à l’écoute de l’album, on est dedans! En tous cas, ça donne envie d’y être, particulièrement en ce moment. Vous qui étiez en plein dedans, qu’avez-vous vécu pendant ces concerts ?

Jim : Pour le concert à Lyon, on tournait avec Noyades et plein d’autres groupes, donc ce sont surtout pas mal de rencontres avec de chouettes personnes. Et le concert de Dour, c’est un peu jouer à la maison. Il y avait 2 500 personnes, c’était cool! Tu vois tous les copains au premier rang, les sourires, les gens qui se rentrent dedans…

Roxie : Les dates étaient très différentes l’une de l’autre. A Lyon, en hiver, c’était une très petite jauge; je pense qu’ils avaient vendu 120 tickets et c’était complet. A Dour, en été, le chapiteau était plein. Tu as deux concerts qui sont extrêmement contrastés au niveau du public. Et les deux sont pour nous tout aussi intenses l’un que l’autre. L’un comme l’autre sont des super souvenirs, où les gens gueulent, où les gens dansent, où il se passe vraiment quelque chose!

Est-ce que c’est l’idée de ressentir tout ça sur les visuels de la pochette de l’album?

Jim : Oui, parce que toutes les photos que l’on voit dessus sont uniquement des photos prises avec notre appareil, par des copains photographes qui sont venus avec nous et qui ont pris l’habitude de prendre des photos de nous et surtout du public.

Quand je me suis mis à faire la pochette et qu’on a eu l’idée de faire un collage, on s’est dit qu’on allait mettre ces photos là. C’était aussi très cohérent, vu que ce n’étaient que des gens qui étaient au concert de La Jungle. En plein dans le mille! On aurait pas pu faire autrement.

On voulait aussi se différencier des pochettes des précédents albums par Gideon Chase (le palmier, les chevaliers et la guillotine). Et ne pas en faire un dans le même style, parce qu’on aime bien que les albums aient leur propre ligne graphique.

C’est quoi d’ailleurs l’histoire des visuels que vous avez faits avec Gideon CHASE ?

Jim : Pour ‘Past/Middle Age/Future’, où on voit deux chevaliers qui se battent, ça tombait bien parce que c’était au moment des grèves, des gilets jaunes. Et j’aimais toujours dire qu’on était toujours au Moyen-Âge, que rien n’a changé à part la technologie. Tu as toujours des grands, des puissants, et tous les serfs à côté. Je disais toujours « tu verras dans 100 ou 400 ans, ils vont changer la ligne du temps, et agrandir le Moyen-Âge pour venir jusqu’ici! ». On avait ça en tête quand on composait et le visuel existait déjà, donc tout a fait sens. On aime bien que tout fasse sens, comme t’as repéré !

 

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Pour le deuxième album, on a composé un morceau qui s’appelle « Blood Watermelon » grâce à la pochette. Et le premier est venu tout seul; c’était une photo que j’avais vue et j’ai retrouvé le type au moment où je cherchais une pochette et Rémy a dit banco.

Toujours dans la catégorie « Artworks », ça fait quoi d’avoir une bière à son effigie ?

Jim : Quelle expérience ça aussi! Le jour de la release c’était…! Le mec nous propose de faire un concert dans sa brasserie (La Source Beer Co, à Bruxelles), et nous demande le cachet. On lui répond qu’on ne veut pas de cachet, mais brasser une bière nous même. C’est un truc qu’on a toujours rêvé de faire, notamment via nos anciens lieux de concerts. Et le mec a dit banco! On est allés brasser la bière là-bas avec notre booker.

Forcément, on est partis sur un truc moyen-âgeux, à partir d’ambroise sauvage. Au Moyen-Âge, ça remplaçait souvent le houblon quand il n’y en avait pas. Si tu en mets trop, ça peut faire rentrer celui qui en boit dans un état second, une sorte de transe. Cette plante, c’est un lointain dérivé de l’absinthe. C’est vrai qu’on avait des drôles de sensation quand on en buvait une à jeun! Ca tombait bien, la transe c’est ce qu’on aime bien faire comme musique! Du coup on a mis des tigres avec des casques!

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Roxie : C’est bien parce qu’on a eu 500 canettes et que pendant la tournée qui a suivi on a pu en filer a plein de monde, pour les remercier. Et le soir du « vernissage » de la bière c’est un super souvenir. Les mecs se sont fait complètement déborder, c’est la première fois qu’ils faisaient ça. La brasserie pouvait accueillir 100-150 personnes, mais on était probablement plus de 350! Mais c’est super parce que maintenant ils le font avec d’autres groupes comme MADMADMAD. C’est une super brasserie, et les gens soutiennent l’initiative. Les bières partent!

Jim : Même chose, on devait faire la release party de « Coucou, Beuh! » à la Brasserie du Borinage à Boussu près de Dour et on devait annoncer notre seconde bière, La Canopée, qu’on a faite avec eux aussi. Une belle canette toute noire ! Comme on a pas encore pu faire l’événement, on verra comment l’annoncer plus tard. S’il y en a une deuxième en route, il y en aura probablement une troisième ! Pour propager la bonne parole !

Rémy tu disais dans une interview que tu as faite en 2017 avec les Nuits Botaniques, que le featuring idéal serait de faire un truc avec Föllakzoid. Ca s’est fait depuis?

Jim : On devait jouer avec eux à Tourcoing pour le PZZLE Festival, mais ça a été annulé. Faut voir si on peut le faire, les gars sont un peu…

Rémy : On les a rencontrés en tous cas, peut être qu’ils se souviennent de nous. En effet, ils sont un peu… Peut être que nous aussi on est un peu…En tous cas l’un envers l’autre peut-être qu’on est un peu… quoi. Maintenant, trois ans plus tard, que serait le featuring idéal? On a eu plein d’idées depuis…

Jim : Une grosse tournée avec France, La Jungle, Hyperculte et Why the eye? Ce serait bien !

Roxie : France étant à mes yeux peut être le meilleur groupe du monde depuis un an ou deux. Il n’y a rien qui équivaut ça en live. Il y en a beaucoup qui trouvent ça chiant, mais pour moi c’est l’aboutissement de ce que doit être la musique transe.

Jim : C’est un groupe qui joue de la vielle à roue, un bassiste et un batteur et ils font toujours la même note ou presque pendant 20-30 minutes.

Pour revenir sur l’album, c’est cool de votre part de donner les bénéfices des ventes du test-press à l’association Ecoutes Violences Conjugales. Ca s’est fait comment?

Jim : On avait déjà vu des gens qui vendaient des test-press ainsi, mais tout bêtes, juste signés par les membres du groupe. Et en ce moment on s’est rendus compte qu’on avait de la chance, déjà d’avoir une maison, et même un jardin. Il faut penser que les mecs qui vivent dans des tours et qui ne peuvent plus sortir, c’est l’enfer. Quand tu penses aux femmes et aux hommes battu.e.s qui doivent être obligés de vivre enfermé.e.s 24h/24 avec leur bourreau en ce moment, c’est pénible.

 

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On voulait faire un don à une oeuvre et on allait plus du côté féministe. En se renseignant autour de nous, on s’est dits que donner à cette association c’était le plus urgent dans la situation où on est. Certaines avaient déjà des aides du gouvernement, tandis que celle là non.

Donc ça s’est fait comme ça, et on a fait des dessins parce qu’on aime bien dessiner. On fait toujours des dessins aux gens après les concerts. Et on a pu récolter plus de 500€ avec la vente des test-press, c’est déjà pas mal pour participer.

Roxie : On attend les derniers versements et on pourra faire le don. Une période comme celle-ci, où tu tournes moins et où tu penses moins au groupe, ça laisse aussi du temps pour penser à autre chose que ta gueule.

Vous voyez comment les concerts et les fêtes dans les mois à venir? N’y a-t-il pas des formats à tester ou à privilégier?

Roxie : Tout ce qui est streaming, je pense qu’on va vite en avoir marre. Au niveau des concerts les gens ne vont pas être plus disciplinés que dans la rue. L’entre deux avec 1m50 de distance, les gens vont vite envoyer tout ça chier. On va beau avoir inventer des formats « safe » au niveau sanitaire, ça va être l’anarchie.

Jim : Je pense que pour 2020, ça va être plié les concerts. Je ne vois pas beaucoup de gens qui vont prendre le risque d’en organiser en sachant que ça va être annulé.

Roxie : Il y en a qui le feront : on a eu une proposition de report de date avec 2 000 personnes en Novembre. Mais je me demande qui peut se dire qu’en Novembre il sera possible d’organiser un concert.

Jim : Et de la part du gouvernement, rien n’est mis en place pour changer. Notamment sur une forme de responsabilisation des personnes à des situations de concert par exemple.

Il y aura peut être des formats réduits comme celui que vous avez fait dans votre clip « The knight the doom »?

Roxie : Si on peut refaire des concerts à 30 ou 40 personnes, on est déjà contents ! Parce qu’il n’en faut pas plus pour faire la fête.

Jim : Maintenant, ça va frustrer… Ca va être quoi? Septante euros le ticket?

Roxie : Pas forcément… Ce qui va pouvoir sauver les concerts dans un premier temps, ce seront les structures subventionnées. Je travaille dans un lieu subventionné, et on a pas trop de questions à se poser pour la suite, ça va rouler. Et c’est grâce à ça qu’on arrivera à faire des concerts à 30-40 personnes qui tiennent un peu la route financièrement. Mais c’est sûr que ce n’est pas pour tout de suite qu’on pourra faire des concerts pour 500-600 personnes.

Il y a un autre format de concert, streamé, que vous avez fait, au centre du public, c’était le Arte Concert à la Gaîté Lyrique. Qui a permis à pas mal de personnes à Paris et ailleurs de vous connaître. C’est cool de jouer dans cette configuration ?

Jim : J’en ai l’habitude; j’ai déjà fait 400 concerts aussi avec Petula Clarck, avec qui on ne jouait qu’au milieu du public. Je crois que Rémy connaissait bien aussi, comme il aime des groupes comme Lightning Bolt ou Pneu il connaissait un peu le principe.

On avait déjà fait, avec La Jungle, une vidéo sauvage en plein milieu d’une galerie passante à Liège, qui a été arrêtée par les flics après 15 minutes. Cette vidéo a super bien marché, et donc les programmateurs l’ayant souvent vue, nous demandaient si on jouait dans cette configuration, avant qu’on leur dise qu’on joue sur scène. Mais quand on sent qu’on va se faire chier, on se met parterre. Et c’est gai, ça change!

Et c’est cool que ça se soit fait avec Arte, à La Gaîté Lyrique. C’est une configuration assez rare dans le grand public.

Roxie : Tu as tout de suite un rapport au public qui est différent, c’est agréable. Tu n’es jamais à l’abri qu’un mec se casse la gueule sur la batterie, ça nous est déjà arrivé. En tous cas, pour quatre concerts qu’on fait sur scène, on en fait à peu près un parterre. Ca évite aussi la routine du live, surtout quand tu fais 100 lives en une année.

Ca vous a mis un coup de boost cette exposition vidéo via Arte?

Roxie : Nos bookers en France, Jerkov, te répondront mieux que nous. Peut être pas en Belgique, parce que les gens nous connaissent déjà assez bien. Mais en France oui, ça leur a ouvert des trucs.

Jim : Ca doit aider parce que tu te dis « ah, s’ils sont passés à Arte c’est qu’ils sont connus, et donc qu’ils ramènent du monde. »

Roxie : Et puis, les semaines qui ont suivi le concert, tout le monde me parlait de ça. Leur force de frappe est tellement dingue; c’est pas nous qui avons fait ce truc là; nous on a simplement joué.

Jim : C’était une chouette expérience. En plus les mecs qui ont filmé c’est des crèmes !

Roxie : Et il y a une vision. Quand tu regardes comment c’est tourné, tu vois que ce sont des personnes qui travaillent vraiment une esthétique, et le travail derrière est monumental. Il y a une démarche artistique. Il y avait des caméras partout et une production de 150 personnes, dans un seul endroit, c’était quand même dingue! La Gaîté Lyrique c’est grand, mais c’est pas un stade de foot non plus!

 

On leur transmettra. Merci pour tous ces éclairages sur l’univers de La Jungle! 

Jim : Merci à vous! Et merci à Hugo pour son travail sur le dernier album. A Steve, notre ingénieur du son en Belgique. Au label EXAG’ Records. Rockerill. Aux bookers, qui sont à l’arrêt aussi. Coucou à tous les copains et les copines, on sera bientôt là!

Roxie : Et si on est pas là, il y a encore des trucs qui sortent d’ici la fin de l’année. Les mois prochains on a encore 3 ou 4 sorties. Pas un album, mais des objets un peu différents, avec de la nouvelle matière.