Enfants mongoloïdes de Confidence Man, des Power Rangers et des Spice Girls, le groupe protéiforme Beatfoot a posé sa soucoupe bariolée, joyeusement chelou et purement idiote sur la planète Transmusicales en Décembre 2022. Leur passage à 5h30 du matin a encore plus écarquillé les pupilles de festivalier.e.s déjà bien en connexion avec les astres de la fête jusqu’au-boutiste et du débilisme créatif.
A mi chemin entre un H&M qui déborde de hoodies fluo, un cabaret de Bisounours et une sauce piquante de pizza qui provoque un fou rire ininterrompu, Beat-rien-à-foot improvise complètement ses shows qui partent dans tous les sens. Pourtant, sous des airs foutraque et régressive, la créativité du groupe condense une richesse de sens impressionnante. Chaque morceau fait rayonner un soleil de joie pour qui l’écoute, et met en avant les contributions d’un univers artistique complet, reflet du bouillonnement créatif de la scène artistique, engagée et queer de Tel-Aviv.
Pour savoir d’où leur est venue l’idée de se déguiser en pizza dans leur dernier clip, on est allés à la rencontre du duo fondateur du groupe, Udi Naor et Adi Bronicki. Et leur poser les questions existentielles qui surgissent inévitablement après l’écoute de chaque morceau de Beatfoot : « D’où viens-je? », « Où vais-je? », et surtout « Dans quel état j’erre ? »
Est-ce votre premier concert en France?
U : En soi c’est notre premier vrai live. J’ai fait un DJ set au Rex Club, et on a joué l’année dernière à l’hippodrome de Vincennes pour une soirée Alter Paname, mais sous un format live qui n’était pas celui d’aujourd’hui. A propos du live, ça nous a pris du temps avant de comprendre ce qu’on faisait dans un live show, quelles sont nos forces, nos faiblesses.
A quand remontent les débuts officiels du groupe sous sa forme actuelle?
U : A 2018, quand on a sorti notre premier EP. Il contenait deux sons de Beatfoot, un morceau instrumental, et une reprise. Ainsi que des remixes par Red Axes et Ivan Smagghe. On l’a sorti sur le même label qu’un autre groupe d’Adi, Deaf Chonky.
A : On a d’abord commencé à s’inviter mutuellement dans des lives, puis à en faire ensemble peu à peu. Durant la période où on a notamment joué à l’hippodrome de Vincennes, on a fait évoluer le groupe sur une forme proche de celle d’aujourd’hui. Maintenant on sait ce qu’on est en tant que groupe.
Que vous apportent vos expériences issues d’autres groupes comme Red Axes et Deaf Chonky?
U : Déjà, savoir que l’on aime le type de vie qui va avec le fait d’avoir des groupes, d’être en tournée, etc… Comment opérer dans l’industrie de la musique, trouver sa propre voie, son ton, etc… J’aime aussi le fait qu’avec Red Axes ce soit modulable, entre DJ set et live show, des artistes peuvent être invités, etc… C’est quelque chose qui se retrouve avec Beatfoot.
Quelle est la philosophie générale de Beatfoot?
A : Prendre des drogues, destituer le gouvernement, A.C.A.B. évidemment, Toy’s Aurus, H&M, M&Ms… Il y a beaucoup de messages dans Beatfoot, des choses que l’on veut dire tout le temps. Mais en définitive, on pourrait appeler Beatfoot une forme de « bêtise radicale », porter le fait d’être des gaffeurs et imbéciles à un extrême absolu. Il en résulte une forme d’acceptation humaine, d’empathie et de libération. Il y a quelque chose de très pur dans le fait d’être idiot, sauter partout, s’amuser, aller très vite, le plus vite que ton cerveau peut supporter. Ça amène les gens, autant les performers que les gens dans le public à se sentir vraiment vraiment libres et joyeux. Je crois que cette radicalité, cette liberté et cette joie font partie de la nature humaine, et que c’est comme ça que je veux que les gens se sentent quand ils nous voient.
U : Je suis d’accord à 120%, j’aurais pas pu dire mieux ! Aujourd’hui quand tu vois les festivals comme Tomorrowland où des personnes de 70 ans sont complètement à fond et crient partout, et se donnent totalement à la musique, tu comprends qu’il n’y a pas besoin d’être smart. Ce qui compte c’est l’émotion d’être joyeux. Être dans le moment hype de cette joie intense. D’une certaine manière ce n’est pas évident pour moi d’être totalement à fond dans cette joie parce que je suis quelqu’un d’« intelligent », et d’« éduqué »; influencé par mes amis au lycée qui disaient « on aime le Velvet Underground, on n’aime pas Rihanna », ce qui m’amenait à me dire « ok, donc on ne devrait pas aimer Rihanna ». Et maintenant via Beatfoot, j’essaie de chercher ma connexion à cette énergie fun. De créer de la musique de manière à pouvoir m’y relier.
Quel est votre processus de production?
U : Cardi B a dit un jour « chaque parole devrait être la meilleure capture possible pour un post instagram ». Ça a aussi quelque chose à faire avec la culture des memes. Un meme est quelque chose dont on parle beaucoup, et si tu es capable de faire un meme très relayé…
A : Un meme est comme une épidémie d’une émotion spécifique dans laquelle tout le monde peut se reconnaître. Réussir à créer quelque chose d’aussi profond et d’aussi exact donne beaucoup de pouvoir.
U : Ça fait comme un coup de poing instantané. Tu lis le texte, tu vois l’image, et en deux secondes ça peut devenir intelligent, imbécile, drôle et profond à propos de ta vie. Ça vaut trois semaines de thérapie! En ce qui concerne notre processus, on parle beaucoup de choses de la vie, un peu imbéciles, et de là on se dit des fois que ça pourrait faire un super meme ou un super slogan sur un t-shirt. J’écris quelques trucs à partir de ça, je fais les playbacks, la musique, j’ai en tête l’idée générale du son, puis je donne ça à écouter à Adi, et là dessus elle apporte une quantité insensée de sens, de sujets, de profondeur à l’intérieur de la musique et des paroles. Ça devient tellement riche en une seconde! C’est très beau.
A quoi ressemble l’endroit où vous créez?
A : A un bus. J’écris les paroles dans le bus en chemin pour le studio !
U : On a tellement de mal à se caler des sessions de répétition qu’on les prévoit deux mois à l’avance. Et Adi arrive à écrire les paroles seulement en arrivant au studio!
A : Le studio en tant que tel est un peu le hub de la scène de Tel Aviv. Il est situé dans un vieux bâtiment abandonné de la ville. Il y a plusieurs salles de concerts dedans, ainsi qu’un restaurant, un record store, et un hub activiste dont je fais partie. Les gens sont très influencés les un.e.s par les autres. Je pense qu’Udi est très accordé à ça, aux retours dans la salle, ça s’entend dans sa musique et la pertinence de ses productions.
U : Pour moi, être dans cet espèce d’immeuble hipster-méca dans la capitale de Tel-Aviv, c’est comme être dans une bulle dans une bulle. Israël est une bulle, Tel-Aviv est une bulle, l’immeuble est une bulle, et moi dans mon studio je suis dans une bulle, dans une bulle, dans une bulle. A chaque fois que je m’y rends, il y a un show, ou un festival et pour me rendre à mon studio je dois passer à travers tous ces événements qui se passent à ce moment-là. J’ai besoin de baigner dans cet endroit où les choses sont en train de se passer. On doit faire les choses maintenant! Comment ça il y a une fête en bas, et on est pas les choses le groupe le plus important? Je vais aller dans mon studio et GAGNER! C’est très compétitif d’être là bas.
Pouvez-vous nous indiquer des artistes qui émergent, dans cet endroit ou parmi les groupes que vous côtoyez?
A : Oui, il y a un groupe qui s’appelle Adi-Scotek, wait for it, ça va être incroyable !
U : J’ai créé un label qui s’appelle FUT, comme Beat-FUT. L’acronyme veut dire Fucking Ugly Twat (Putain de Vilaine Chatte, ndlr.). Je ne voulais pas qu’avant ou après nos shows il y ait juste une playlist Spotify qui soit jouée. Donc j’ai commencé à réunir des artistes de Tel-Aviv dont les projets passeraient bien autour de 5h30 du matin. Ce qui m’inspire le plus à Tel-Aviv aujourd’hui c’est toute la scène queer, très dynamique. On a commencé à collaborer avec certains acteurs de cette scène, à les inviter sur nos tournées. Et à créer de la musique avec eux, comme avec DJ Sh Se, par exemple. L’idée de créer un label c’est d’amener à la lumière la scène techno underground de Tel-Aviv. En 2023, on va avoir une release par mois environ, donc ça va être fou!
Vous avez déclaré être les enfants d’une Power Ranger et d’une Spice Girl; quel.le est votre Power Ranger favorit.e?
U : En fait, les Bisounours sont meilleurs que les Power Rangers, du fait de la manière dont ils changent le monde. Quand ils voient quelque chose de mal se produire, leur réponse est « aimons le si fort ! Coeur! » C’est dingue. Power Rangers c’est plus un truc de gamin pour se la jouer cool. Mais au début j’aimais plus le Ranger noir, mais j’étais amoureux du rose, de Kimberly.
Et votre Spice Girl préférée?
U : Baby Spice, parce que c’est la leader, mais Sporty Spice est cool aussi!
De quelle planète venez-vous?
A : Je choisirais probablement une planète qui ressemble à l’univers de Princesse Mononoké de Miyazaki.
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