Avec l’équipe de ListenUp, nous nous sommes rendu fin octobre aux Studios Luna Rossa pour rencontrer l’artiste américain au français impeccable Desmond Myers, afin de parler de la sortie de son album solo « Shadowdancer » sorti le 8 octobre dernier. C’était un bonheur de rencontrer un artiste aussi généreux et c’est avec une grande simplicité que nous avons discuté de son univers musical, de ses inspirations et de ce qui le définit autant comme artiste que personne. Entre rires et confessions nous avons aussi évoqué l’excitation à l’approche de sa tournée française et des ses futurs projets outre-atlantique.
Mathieu: Salut Desmond, on tenait à te féliciter pour la sortie de Shadowdancer, ton premier album. A la rédaction on est fans! Cet album est très introspectif, tu parles beaucoup d’ insécurité, de tes doutes… Est ce que mettre ces émotions en musique c’est une manière pour toi de les confronter ?
Desmond Myers: C’est exactement ça. Il me faut un processus verbal pour comprendre comment je vais. Je pense que c’est une question de masculinité, c’est un truc de mec. On ne sait pas toujours comment s’exprimer. C’est quelque chose que j’aimerais améliorer, juste d’avoir les moyens de m’exprimer plus efficacement, plus vite. Mais je suis qui je suis, du coup pour moi c’est la musique qui me permet d’extérioriser. Quand je me pose avec un sujet, je pense beaucoup quand j’écris des textes. Je bosse pas forcément avec du yaourt contrairement à beaucoup de chanteurs. Je pense vraiment à ce que je vais dire, je pose la musique d’abord et je pense vraiment à ce que je vais dire, je fais beaucoup de recherches.
M: Donc tu vas travailler tes textes avant la musique, ou tu vas travailler la musique avant le texte ?
D: C’est une question qu’on pose souvent aux musiciens et c’est marrant parce que tous les auteurs-compositeurs ont une réponse différente. Des fois c’est de manière simultanée, les deux en même temps. Quand ça arrive c’est génial, tout vient d’un coup. C’est comme vomir en quelque sorte… Playing with Fire est venu comme ça. Mais tu ne peux pas toujours compter sur ça, donc j’essaie de compenser en écrivant régulièrement.
M: Cet album semble être une évolution directe de ton premier EP “Brothers & Fathers”, il va vers une direction plus chantée, plus groovy par rapport au premier opus où les influences sont plus hip-hop. Comment s’est passée cette transition ?
D: Quand j’ai écrit Brothers and Fathers, mon père est décédé et c’est un peu le sujet de cet EP. Je me suis retrouvé avec tellement de choses à dire que j’étais trop limité en chantant. En chantant t’as beaucoup moins de nombres de mots que tu peux mettre dans un texte. Alors que si tu rappes ou tu slammes, il y a beaucoup plus de possibilités de dire les choses et de s’exprimer. C’est vraiment un truc spécifique à cet EP là et je pense que c’est pas du tout ma force, mon truc c’est plus de chanter. J’ai pas mal bossé ma technique vocale sur le nouvel album. A l’époque c’était le seul moyen de m’exprimer que j’ai trouvé.
Au delà de juste rapper et chanter, j’étais assez monomaniaque sur la prod de Brothers and Fathers. Je créais beaucoup avec mon ordi, je mappais tous les morceaux dans Ableton Live, toutes les batteries étaient faites à la drum machine car je suis fan de hip-hop, donc je voulais que mes batteries sonnent comme ça. J’ai découvert qu’il y avait beaucoup de batterie sur les disques de rap que j’aimais et avec Mathieu Gramoli (le batteur du groupe, ndlr.) On a beaucoup travaillé sur le son de batterie de l’album.
Cet album est vraiment un album de groupe comparé au premier EP. C’est la première fois que je travaille comme ça, avec une esthétique de travail à la Kévin Parker où c’est un projet solo mais je bosse avec une équipe en parallèle. Pour le coup c’est vraiment une dream team, avec Mathieu on a cherché les meilleurs et j’ai eu la chance qu’ils aient accepté de participer.
Kova: Et ils jouent avec toi Mercredi prochain ? (Nous parlons du concert du 3 novembre à la Maroquinerie, l’interview s’étant déroulée fin octobre ndlr.)
D: C’est ça. A là base j’ai rencontré Mathieu Gramoli quand on jouait pour Her, j’étais le guitariste et lui le batteur. On a commencé à bosser ensemble et après on a demandé à Louis-Marin Renaud qui est le le guitariste de Lou Doillon, qui a mixé tous les titres de l’album. Après il y a eu Pierre Elgrishi qui est le bassiste de Clara Luciani, qui nous a rejoint.
M: Tous ces musiciens sont français et ils ont participé à la réalisation de cet album et pourtant on entend une vraie influence de musique américaine. Est ce que tes musiciens t’ont apporté des influences que toi tu n’avais pas ?
D: Absolument. C’est vraiment fantastique quand tu as un groupe. Tu peux puiser dans toutes les influences du groupe pour créer une musique plus riche. Quand j’ai commencé la musique j’étais très influencé par les rock des années 70, Pink Floyd, Led Zeppelin, Jimi Hendrix… Louis est aussi à fond là dedans ça m’a donné un peu la permission de plonger dans ces influences là. Pierre et Mathieu ont d’autres influences plus jazz ou chanson française, donc ça a clairement contribué au son de l’album.
M : Dans Real Man tu parles d’un homme qui est incapable d’ouvrir ses émotions et qui garde tout en lui par peur de paraître vulnérable. C’est caractéristique de beaucoup d’hommes. Est ce que tu penses que les hommes se questionnent de plus en plus sur leur masculinité ?
D : Quand j’ai travaillé sur ce morceau, j’ai remarqué qu’il y avait énormément de paroles à ce sujet là notamment par des chanteuses féminines, notamment avec le mouvement Me Too. Ce n’était pas du tout mon intention de prendre un propos sur ce sujet, mais je trouve qu’il y a très peu d’artistes masculins qui ont pris position sur le sujet alors que ça nous concerne avant tout. C’est à nous d’agir, de changer tout ça. Et je pense que c’est dangereux en même temps, parce que j’ai toujours un peu peur quand un sujet comme ça devient « hype » car il y a fatalement du « me too washing » ou du « queer baiting » qui est fait par des artistes ou des médias. J’ai parlé de ce sujet car c’est venu d’une interrogation personnelle, donc j’ai vraiment essayé de faire attention de ne pas apparaître comme si je surfais sur une vague. Je pense que c’est pas le but de l’art de donner une leçon, moi je trouve ça chiant surtout venant d’un homme en fait. Pour moi ça va plus desservir le propos artistique qu’autre chose.
K : Est-ce que le fait d’avoir été père a changé ton regard sur ce que ça veut dire d’être un homme ?
D : Totalement. Avant, toutes ces questions étaient seulement hypothétiques. Maintenant je suis responsable d’une fille et d’un garçon et je me demande constamment si je vais faire les bons choix pour eux. Mon père par exemple était un bon père mais j’ai quand même reçu des choses dans mon éducation pas terribles… Et tout à coup ça devient hyper réel, toutes ces questions de ne pas essayer de reproduire le schéma que tu as eu en tant qu’enfant. Tu dois quand même montrer l’exemple en tant qu’homme et le fait d’être souvent loin de ma famille m’interroge.
K : Comment envisages-tu ta prochaine tournée ? Tu arrives justement à allier touring et vie de famille ?
D : On a sept dates en France et c’est la première fois que je tourne avec ma musique, dans un van avec le groupe… J’ai déjà tourné avec d’autres d’autres groupes mais jamais pour mon projet solo, donc c’est très excitant. Concernant la vie de famille, c’est le plus difficile à gérer. En fait tu veux réussir en tant que musicien, j’ai investi mon temps, je travaille et là j’arrive enfin au début d’un stade où je peux faire des tournées et ça devient tout de suite plus compliqué à gérer. Je suis hyper reconnaissant et j’ai hâte de partir en tournée mais d’un autre côté je n’ai pas envie de partir parce que je suis loin des gens que j’aime et de mes enfants… J’ai pas encore réussi à allier les deux.
M: Revenons un peu sur le clip de Real Man, tu y apparaît au sol, vulnérable, tu portes une combinaison chair et tu danses avec ton double féminin. Est-ce ta façon à toi de dire que les gens deviennent de plus en plus flous, c’est à dire que la frontière entre les genres s’estompent ?
D: Je pense que j’ai cherché à l’évoquer, sans vouloir pour autant surfer sur la vague actuelle. Mais je voulais déconstruire l’image de l’homme toujours fort alors que je le trouve souvent faible. Dans ma vie, je les voyais souvent péter des câbles, sans savoir se contenir. Je suis fils de fermier et dans ma famille certaines personnes n’avaient pas ce que je pourrais appeler une très forte “intelligence émotionnelle”. Pour moi si tu te laisses déborder à la moindre contrariété ce n’est pas ça avoir de la force de caractère. Tandis que lorsque je pense à tous les repas que ma grand-mère a préparé, à toutes les situations de tension qu’elle à dû gérer à ces occasions, je suis admiratif. Quand je pense à toutes ces femmes, notamment dans ma famille, qui malgré les difficultés qui les ont accablées portent tout le monde, pour moi c’est ça la vraie force. Je ne comprends pas comment on ne peut pas voir et être émerveillé par cela ! D’autant plus que Courtney la danseuse est beaucoup plus athlétique que moi ! (rire)
K: En regardant le clip, j’ai pensé qu’en plus d’être un super chanteur, tu dansais super bien, je me suis faite avoir par votre double jeu, donc ça marche bien !
D: C’est aussi grâce à Kevin le make-up artist qui a vraiment fait un travail formidable. Courtney danse superbement bien, certains de ses mouvements sont impossibles à faire pour moi (rire). J’ai vraiment voulu me questionner sur ce qu’est un « vrai mec », a real man. Il suffit juste d’être soi au final, c’est tellement toxique de devoir se conformer à la case où l’on devrait être.
M: Les thèmes qui parcourent cet album sont assez durs. On imagine que tu as dû faire un vrai travail sur toi-même pour parler de ces choses- là. On se demandait alors si ça n’était pas difficile de parler de ces expériences, de les revivre à chaque fois pendant les concerts ?
D: Effectivement c’est très bizarre de faire de la promotion sur ce genre de chose, tu démarches sur tes faiblesses et des histoires plutôt personnelles.
K: As tu l’impression de te “dédoubler” ? Est ce que ça ne te rendrais pas un peu fou d’une certaine manière ?
D: Il y a peut-être un côté schizophrène. D’ailleurs le titre Shadows fait un peu référence à ça: je suis sur la piste de danse mais pourtant je suis dehors. J’ai envie de parler de ce genre de sujet mais en même temps ça me fait peur aussi. Du regard des autres sur ce que je pourrais écrire, cette mise à nu me touche réellement et je ne voudrais pas que l’on pense que je me réapproprie des choses que je ne connais pas. Malgré tous les doutes que je peux avoir lorsque j’écris mes morceaux, j’essaye, je vais chercher profondément, dans mes tripes. Ce sont d’ailleurs ceux que je trouve les plus puissants. D’ailleurs le cri de guerre lorsque nous avons composé cet album c’était « aller où ça fait mal ». Je trouve que généralement les artistes qui font ça, réalisent leur meilleurs titres. Je ne dis pas qu’il faut automatiquement souffrir, c’est autre chose, mais il faut être réel et essayer d’offrir quelque chose de soi-même.
M: Cela me fait justement penser à Thom Yorke qui disait que lorsqu’il chantait la chanson « Street Spirit (Fade Out) » il devait émotionnellement se détacher du morceau sinon en pensant aux paroles il se mettait à pleurer sur scène. Je pense que c’est dur en temps qu’artiste de se détacher de ce que tu as vécu, d’un sujet qui t’a marqué profondément. C’est très beau mais il faut certainement prendre un certain recul par rapport à ça.
D: Oui tu prends des risques, il faut penser à sa santé mentale aussi.
M: Autre chose dont je voulais parler avec toi, ce sont tes voyages. Tu es parti très tôt en Allemagne puis tu es arrivé à Paris en 2017 où tu es parti travailler avec HER. Tu sembles très lié à notre pays, à Paris. Ton public est me semble-t-il très français, pour autant ta famille est à Atlanta. Par conséquent, est- ce que tu estimes que tu es plus à Paris ou à Atlanta ?
D: En ce moment il est vrai que je suis beaucoup en France mais je vis à Atlanta avec ma famille. Cette organisation on la doit à la pandémie. Car comme on est 4 et qu’il fallait des autorisations spéciales pour pouvoir voyager et se retrouver pour finir l’album, c’était plus facile de faire venir une seule personne que 3.
Le projet est né en 2019 car on a fait un concert ensemble avec Mathieu à Los Angeles et ça c’est tellement bien passé que je me suis dit que même si je suis resté aux US je ne voulais pas perdre ces partenaires si formidables, il fallait que nous continuons à jouer ensemble. Je ne pouvais pas laisser passer ça. Puis j’avais tellement l’habitude de jouer avec Mathieu, de sentir avec moi sa présence sur scène. Bien sûr c’est un peu plus compliqué pour s’organiser et il y a des dépenses supplémentaires mais c’est beaucoup plus important de garder cette connexion entre nous. Puis c’est amusant d’offrir un peu de France pour moi et de States pour les gars !
Dans l’avenir on va faire plus équilibré. On a une tournée américaine prévue en février. On va organiser aussi des live-sessions notamment au Muscle Shoals en Alabama où Aretha Franklin a enregistré tous ses disques. J’avoue que pendant cette période on va un peu pousser le côté US, mais je n’oublie jamais la France.
M: Ça reste quand même important pour toi de rester présent en France ?
D: Évidement ! Mais à la base on avait une tournée US prévue en mai 2020, pas de chance ce fut au cœur de l’œil du cyclone pandémique… Dis toi que j’ai encore le merch comme les posters ou les t-shirts avec toutes les dates. On était trop chauds donc c’est vrai qu’il y avait une certaine frustration et qu’on est content de retourner aux States.
K: Complètement rien à voir mais j’ai lu que tu étais poisson comme signe astrologique et que tu était plutôt intéressé par le sujet. Hors je sais que les natifs de ce signe sont connus pour avoir une version idéalisée de l’amour qu’ils sont mystérieux et insaisissable. Penses-tu que ta « poissonitude » a influencé l’écriture de ton album ?
D: (Rire) Super question, en fait je crois dans l’astrologie mais je ne suis pas convaincu par les horoscopes, c’est toujours ce que tu veux entendre, je me dis « Ah oui c’est moi! » et même si c’est le but je trouve ça trop évident.
K: En plus il ne faut jamais lire son horoscope en début de journée car s’il est mauvais ça peut te pourrir ta journée (rire)
D: Pour moi c’est un le combat entre l’intellectuel et le spirituel. Car je sais qu’intellectuellement que c’est pas possible mais ça me parle quand même. D’autant plus que ma belle-sœur est poisson aussi et on est pareil! Pour l’écriture je dirais oui car on pense beaucoup, on est dans notre monde intérieur c’est un peu le truc des poissons l’introspection : Dans les profondeurs mais il faut aussi revenir à la surface. Puis on est pas colérique, juste très sensible.
K: Revenons à nos moutons d’ailleurs… Je voulais savoir si tu avais déjà joué à la Maroquinerie, là où tu te produis la semaine prochaine ou si tu avais déjà vu des concerts là-bas ?
D: Non ça sera une première, en revanche j’y vais samedi voir Benny Sings ! C’est vraiment un excellent artiste !
K: Guys ,le gong sonne, nous allons devoir nous séparer et te laisser continuer ta journée de promotion.
D: Yes! C’est magnifique ce que tu as fait là (en parlant du dessin, ndlr), je suis un peu flatté car je ressemble à mon père (dont la photo est sur la pochette de son premier EP Brothers+Fathers, ndlr). Mais tu m’as fait 2 fois !
K: Oui, trois même, parce que tu bouges ! (rire)
D: Hâte de voir ce que ça va donner au concert !
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